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Avertissement
Cette
déclaration à la première personne n’engage bien entendu que moi. Je
salue mes co-inculpés du jour et je respecte leurs choix divers face à
la justice.
Je me tiens devant vous, impénitent, dans ce tribunal et dans un
silence « procédurier », après avoir longuement hésité à me rendre à ce
procès qui est une farce. Une farce judiciaire qui fait suite à une
mascarade politique, policière et médiatique. Ce n’est donc pas de
gaîté de cœur que j’ai décidé aujourd’hui de comparaître en refusant toutefois de me défendre comme la justice attend de ses souffre-douleurs qu’ils se défendent. Car je ne vous laisserai pas m’enfermer dans ce rôle ni dans aucun autre. Je
ne plaide donc pas, je n’ai rien à dire ni à analyser sur le plan de la
procédure. Je réfute toutes les accusations à mon encontre. Le
moins pire des compromis que j’ai trouvé avec moi-même dans ce procès
sera de me taire, de laisser parler mon avocat, et de transmettre cette
déclaration. Le silence est aujourd’hui encore la seule chose que je
veux bien vous offrir, car je ne rentrerai pas dans un dialogue avec
ceux qui m’ont envoyé en prison, je ne leur donnerai pas un souffle de
plus. Tout ce que j’ai à dire face à un tribunal se trouve donc dans ce
texte, selon mes propres termes désormais. C’est pourquoi, même si je
semble parfois m’adresser à vous, les
destinataires de cette déclaration sont celles et ceux qui luttent à
travers les frontières contre l’application des politiques migratoires
du capitalisme et de l’État, ainsi que quiconque viendrait à s’intéresser à cette affaire. Si je suis anarchiste c’est bien que je ne reconnais à aucune institution ni à personne la compétence et l’autorité de juger mes choix individuels,
cependant, il est difficile de ne pas constater le pouvoir du mécanisme
judiciaire et de se taire face à ce peloton d’exécution camouflé devant
lequel des milliers de personnes sont sommées de baisser les yeux, la
peur au ventre, dans la participation forcée à leur propre répression
que la justice souhaite imposer. Pas aujourd’hui.
* * *
Peut-être que des archéologues du futur, en épluchant ce dossier
pachydermique paradoxalement construit sur du vent, et en y trouvant
cette déclaration, pourront se faire une idée de cette lutte contre la
machine à expulser, contre toutes les prisons sous toutes leurs formes,
qui parmi d’autres, n’a jamais cessé de faire rage tout au long de
l’histoire de l’humanité de façon protéiforme. De nombreuses personnes
ont acté, à travers l’histoire, que l’enfermement, le bannissement et
l’expulsion étaient des pratiques révoltantes. Aucune cour ne pourra
jamais empêcher ce constat partagé par de grandes portions de la
population humaine. Le bon sens indique que ces modalités de gestion
des indésirables sont ignobles par bien des aspects. On s’offusque
souvent des conditions dans lesquelles elles s’exercent. On entend
sourdre qu’« il faudrait que
cela cesse », la plupart du temps avec résignation. Et puis parfois des
dynamiques s’enclenchent, et des gens commencent à dire qu’« il faut
que cela cesse », ils prennent leurs responsabilités en conséquence, et
alors vos magistrats s’éveillent, frappent dans le tas, font leur
travail avec plus ou moins de zèle, de haine ou de romantisme. Non pas
que l’état le plus neutralisé et dépouillé de la justice serait
tolérable…
C’est alors que, la machine à réprimer s’emballant, les services
anti-terroristes, atteints du complexe de Superman, sont lâchés dans la
nature, ils prennent des photos, suivent des gens en train d’acheter de
la colle, de s’aimer, de rire, d’acheter du pain. C’est incroyable ce
que l’on découvre sur les gens lorsqu’on les suit à quinze en cachette.
Qu’en serait-il dans la vie d’un juge ou d’un limier de
l’antiterrorisme républicain ? Je ne m’alourdis pas avec ce genre de
questions, et je laisse volontiers ces pulsions intrusives à celles et
ceux dont c’est le fier métier. Donc, ils photographient des
rassemblements publics pendant des années, puis ils profitent de
l’observation de ces photographies de qualités probablement artistiques
(mais pour lesquelles je me permettrai d’exiger des royalties), pour se
livrer à des déductions sans aucun fondement ou cohérence apparente.
Ils en arrivent malgré tout à construire une liste bigarrée de «
suspects » qu’ils vont chercher à rapprocher le plus possible de la
figure mythopoiétique du « coupable », en ajoutant, toutes les cinq
lignes, du « et en plus ils aiment pas l’État.!.», peaufinant leurs élucubrations à coups d’«.anarcho-autonomes.», d’«.anarcho-libertaires.»
et autres appellations d’origine incontrôlables qui ne recouvrent
absolument aucune réalité concrète, et dans lesquelles personne ne se
reconnaît sur cette planète que nous avons le malheur, visiblement, de
partager. Les «.suspects.»
sont malmenés par des perquisitions, des garde-à-vues interminables
ponctuées d’auditions lourdes, des surveillances humaines et des
dispositifs matériels, et pour certains des incarcérations, le tout
étendu sur un temps qui ne fait qu’appuyer chaque jour l’absurdité
totale de cette série de procédures fusionnées par ci par là pour
constituer cette offensive judiciaire contre ces insupportables «.présumés.»
adversaires de l’État. On nous a accusés de sabotages, d’incendies, de
dégradations diverses, qui pour la plupart n’avaient pas lieu dans les
rassemblements publics observés et photographiés. Théoriquement, selon
les fondements discursifs de la justice, devrait se trouver alors la
preuve pour corroborer la légende. Ici, personne ne s’en est
véritablement soucié, puisque l’auto-conviction des services de
surveillance suffit de toutes manières à «.coller un peu de préventive.»
pour asseoir son autorité tyrannique et absolue sur la vie des gens. Je
ne cherche pas ici à pointer un dysfonctionnement de la justice : le
fonctionnement normal de la justice n’est pas autre chose et je ne vois
rien de pire encore qu’une justice qui fonctionne.
C’est pour toutes ces raisons que, non, je préférerai ne pas
vous fournir de bons états de services, ni de garanties de
représentation pour montrer patte blanche à votre justice qui m’accuse
d’être ce que je suis fier d’être et de ne pas être ce que j’ai
toujours refusé d’être : un bon citoyen au dessus de tout soupçon.
Votre robe en frétille peut-être, et puis vous avez probablement passé
en revue d’excellents documents sur la question, dont certains
peut-être que vous m’avez subtilisé pendant vos perquisitions, mais je
suis anarchiste. Il ne sert à rien que je vous expose les tenants et
les aboutissants de tout cela, cette tradition théorique et pratique
n’est pas adressée aux gens comme vous qui se croient détenteurs de
cette autorité qui vous permet de broyer les vies d’individus à la
chaîne, comme vous avez déjà commencé à le faire préventivement avec
moi comme avec tant d’autres. Je ne suis pas un bon gendre à juge, et
cela ne vous concerne en rien. Je n’estime pas avoir à produire le
moindre document qui prouverait à quel point il ne faudrait pas me
mettre en prison, car je répugne fermement à envisager le concept même
de prison. La société fonctionne de manière à ce que les plus
précaires, dont je suis, ne puissent pas, quant à eux, produire ces
certificats d’intégration sociale par le travail et la famille (deux
valeurs qui ne sont pas les miennes). Je ne me soumettrai pas à cette
justice de classe pour qui la pauvreté fait circonstance aggravante,
dans laquelle on détruit des vies entre deux bals mondains. Votre monde
me dégoutte et votre acharnement contre moi depuis plus d’une dizaine
d’années à travers de nombreux épisodes de divers acabits, n’est que la
réponse institutionnelle à ce dégoût. Alors je ne cherche pas à vous
convaincre ou vous persuader de quoi que ce soit, car dialoguer avec
mes juges et geôliers ne serait qu’une énième atteinte à ma dignité. La
puissance de vos machines bureaucratiques de guerre fera toujours de
nous d’éternels perdants tant que cette société pétrie de rapports
autoritaires tiendra le coup. Mais tiendra-t-elle toujours ? N’est-ce
pas ici la question que relaie à longueur de dossiers la police auprès
de ses juges ?
Accuser un anarchiste de quelque délit ou crime que ce soit est un jeu
d’enfant, surtout si, entre la justice et nous, se trouvent des
institutions policières prêtes, dans une narratologie désormais bien
connue, à fabriquer des figures de la « dangerosité » par tous les moyens possibles.
Un critère qui peut vous tomber dessus en prenant le bus — pas à vous
madame la juge, je vous le concède volontiers — et qui sert à maintenir
les ennemis de l’intérieur sous surveillance. Vivre sous surveillance
de l’État est un mode de vie contraignant, et cela non plus vous n’en
avez pas le moindre soupçon, vous qui vous croyez « au dessus de tout
soupçon »… Si vous êtes d’éternels « innocents », alors évidemment les
anarchistes sont d’éternels « coupables » à vos yeux. Qu’il en soit
ainsi, ces catégories ne représentent rien pour moi, elles sont
parfaitement étrangères à ma vie quotidienne, à ma pensée et à mes
réflexions sur ce monde dans lequel nous sommes tous projetés. Elles ne
m’indiffèrent pas pour autant, et je pense qu’il faut les refuser
catégoriquement et garantir la possibilité pour tous et toutes de s’en
libérer pour devenir des individus créateurs de leurs propres vies, ce
qui va à l’encontre de l’existant, à rebours, dans la friction de nos
rêves et de vos cauchemars, et inversement. Pour un magistrat, donc,
pointer du doigt et accuser un anarchiste du haut de son parquet, c’est
un peu comme tirer sur la Croix-Rouge. C’est aussi parce que
l’existence de votre institution et la vie elle même sont des «.incitations au crime.».
Cette expression m’amène à vous rappeler pourquoi nous sommes ici
aujourd’hui, malgré ce que prétendent vos ordonnances de renvoi.
Lorsque des sans papiers se sont révoltés, le 22 juin 2008, au centre
de rétention de Vincennes, c’est un espoir qui a couru les rues de
Paris et d’ailleurs : comme Spartacus en son temps, les damnés de la
terre osent crier « liberté », et agissent en conséquence. Les révoltes
dans les CRA sont non seulement naturelles mais sont aussi le moyen par
lequel les migrants administrativement (ou non) emprisonnés peuvent
réaffirmer une individualité et un désir de liberté qui leurs sont niés.
C’est pourquoi notre solidarité est importante. C’est pourquoi ce procès est un procès de la solidarité avec les sans papiers.
Après la destruction du CRA de Vincennes, vous ne le savez certainement
pas non plus, mais aux quatre coins du monde, des gens de toutes sortes
ont profité d’un sourire en apprenant cette nouvelle dans la grisaille
moderne. Une empathie pour les révoltés se transforme alors en soutien,
et plus important encore, en solidarité.
C’est cette vague de solidarité, qui s’est exprimée de mille manières,
comme une onde dans la société, et au-delà des frontières imaginaires
de votre État-nation la France. Se multiplient alors de nombreuses
initiatives polymorphes et salutaires : des discussions publiques et
des manifestations sont organisées, des attaques ont lieu contre des
rouages de la machine à expulser, un suivi des audiences des inculpés
de l’incendie du CRA de Vincennes est effectué. De nombreuses affiches,
des tracts sont distribués, tous cherchant à élaborer une opposition
concrète à la machine à expulser les sans papiers. Des centaines de
personnes se sentent concernées et s’investissent partout en France. La
presse parle aussi de nombreuses vagues de sabotages contre des
distributeurs de billets de banques dont on apprenait à l’époque
qu’elles se livraient à d’ignobles pratiques de délation de sans
papiers à la police. C’est de cela que vous avez commencé à m’accuser,
d’avoir incendié des distributeurs de billet. Sur quelle base
matérielle de nature à constituer une accusation judiciaire ? De votre
propre aveu, aucune. Le soupçon auto-alimenté d’intentions coupables
est fabriqué à la chaîne par les services de renseignements et de
simples présences à des événements publics de solidarité auront suffit
à fabriquer des « coupables » idéaux pour un temps. Juste assez pour
faire tenir ce dossier kafkaïen qui même à vos yeux et avec vos
lunettes particulières ne peut plus faire sens.
«
Le juge d’instruction a si souvent affaire avec des individus rusés,
fins, hypocrites, qu’au bout de peu d’années, il possède lui-même tous
ces défauts. C’est de la pomme gâtée. Effet de milieu, de contact. » Alexandre Marius Jacob, Prison d’Orléans, 1905.
Des milliers de pages pour ne rien dire constituent cette mascarade
policière, dernier ressac de la circulaire Dati — aujourd’hui jetée aux
oubliettes sous le poids de son absurdité — et des discours
sécuritaires délirants de Michelle Alliot Marie, Alain Bauer ou Xavier
Raufer sur le « terrorisme » d’«.ultra-gauche.».
Mais vous n’avez pas peur, vous les juges, de l’absurdité. Et les
raccourcis et coups de pression de la juge d’inquisition Patricia Simon
ont cherché à construire la « culpabilité » sur des délits mineurs pour
de nombreux accusés, en sachant bien qu’elle assurait là la tenue d’un
procès un jour, même lointain. Elle peut être heureuse aujourd’hui
devant cette mascarade. Lorsque celle-ci, reconvertie en éditorialiste
agressive et histrionique lors d’un interrogatoire en 2011 (alors que
j’étais détenu), me criait dessus en m’insultant «.parce que je ne vote pas.» et parce qu’elle détestait «.les gens comme moi.»,
cette agressivité n’était que le premier voile jeté sur ce dossier
intenable, fait seulement de vents contraires et sans souffles, par une
juge acariâtre de gauche qui se sent investie d’une mission de «.flinguer.»
ce qu’elle perçoit mystérieusement comme son extrême gauche. Pourquoi
alors surenchérir aujourd’hui en persistant, tant d’années plus tard.?
La justice s’est déjà couverte de honte en donnant deux procès à cette
affaire minable. Cette honte n’accablera que vous, et je ressortirais
de ce tribunal aussi fier que j’y suis rentré, avec la conviction
profonde et renforcée que le système judiciaire dans son intégralité
doit être démantelé en même temps que l’État lui même.
Ce serait l’anarchie, êtes-vous peut-être tentés de vous écrier. Précisément.
Mes parents ne sont pas nés en France et ont connu la guerre et des
drames qu’ils ont choisi de fuir en trouvant refuge dans ce pays,
bercés de naïves illusions républicaines, humanistes et égalitaires sur
la France. Des décennies plus tard, les illusions ne sont plus aussi
tenaces. Cela pouvait se constater chaque semaine lorsqu’ils se
retrouvaient contraints de se faire enfermer dans une pièce dégueulasse
et anxiogène de parloir dans laquelle des individus ont pour profession
de les empêcher d’exprimer des marques d’affections, une pratique
humaine pourtant tolérée depuis des temps immémoriaux. Menotter
l’imaginaire et l’affection de chacun, fantasme morbide. Un imaginaire
que vous incarcérez à tour de bras, à faire mourir une jeunesse entière
derrière les murs moisis et galeux de vos mornes prisons éternellement
« surpeuplées ». Je met ici des guillemets, car celles et ceux qui nous
parlent généralement de « surpopulation carcérale » sont aussi ceux qui
proposent d’y « remédier » par la construction de nouvelles places de
prison.
Ces derniers (mes parents) m’ont inculqué à la fois une valeur fondamentale et une tare incorrigible, la relativité
des frontières, des nations, et de plusieurs autres mythes fondateurs
de ce monde de cages d’un côté, et la peur des autorités armées et
assermentées des États de l’autre. Je dis « tare » car cette peur ne
recèle rien de constructif pour l’individu. Cependant, la vie m’a
démontré que malgré tout ce que vous pourrez m’infliger encore, je ne
cesserai jamais d’être solidaire de celles et ceux qui luttent pour
leur liberté, et plus encore pour la liberté de tous et toutes, avec ou
sans papier. Et donc que la peur ne doit rien arrêter. C’est une
question de survie. La liberté n’est pas qu’un rêve et nous ne sommes
pas seulement des rêveurs, elle est une perspective concrète mais
inexplorée, un point de focalisation dans l’horizon qui donne la force
de résister au rouleau compresseur qui, de l’école au travail, n’offre
pour seules perspectives que l’exploitation et l’ennui existentiel. Ne
vous étonnez plus de voir vos enfants si blasés — ils « ont le seum »,
disent-ils… — c’est que vous avez minutieusement participé au maintien
de ce monde qui constitue aujourd’hui la pire alternative possible à un
monde sans argent, sans frontières, sans États, sans chefs et sans
prisons, et donc, sans le « seum » de vos ados. Mais nous vivons dans
la vallée des larmes car vous préférez la grisaille de vos barres
d’immeuble au sourire radieux de la liberté. C’est pourquoi je suis
solidaire des révoltés du Maghreb, dont je suivais dès que possible les
exploits à la TV dans cette satanée cellule de 9m2 où nous nous
entassions à quatre entre rats et excréments.
Y a t il des gens qui méritent
d’être enfermés ? Vous semblez le penser. Ou plutôt, à l’évidence, ne
pas le penser. J’estime que l’enfermement n’est la solution d’aucun
problème et qu’il est précisément le moyen de briser les individualités
réfractaires qui dévient de la normalité que votre code pénal protège,
en les isolant des autres. Même contre vous, les enfermeurs, je
m’oppose à l’enfermement. Si l’État doit enfermer tous ceux et toutes
celles qui désirent son abolition, alors tentez à nouveau de
m’enfermer, puisque vous ne savez rien faire d’autre, mais je m’y
opposerai. Kafka, dans Le Procès,
a bien décrit la nature de vos procédures et de vos bureaucraties :
l’accusé ne peut se défendre parce que des accusations morales tacites
et arbitraires sous-tendent des accusations légales contre lui, mais
qu’elles ne sont pas formulées formellement. L’anarchiste Albert
Libertad avait bien raison d’affirmer que «
la tyrannie la plus redoutable n’est pas celle qui prend figure
d’arbitraire, mais celle qui vient couverte du masque de la légalité. » Mais eux, vous ne pouvez plus les condamner ou les enfermer, ils ont filé !
Ici, dans ce dossier, on se contente généralement de multiplier l’usage de l’adjectif pâta-physique «.anarcho-autonome.»
et autres dérivés dans les procès verbaux pour produire un effet
d’alarme pour juges endormis ou rétifs. Car ce n’est pas pour quelques
tags posés sur des murs il y a de nombreuses années que nous sommes
amenés à être jugés aujourd’hui. Ce n’est pas pour cela que j’ai été
incarcéré plusieurs mois à la Maison d’Arrêt de la Santé. Ce n’est pas
pour cela que la Section Anti-terroriste de la Brigade Criminelle m’a
auditionné des jours durant, parlant d’incendies et de sabotages
pendant que la presse se déchaînait dans une verve des plus idiotes —.«.braquage pour les sans-papiers.» titrait-on en affirmant sans vergogne notre «.culpabilité.»
alors que nous étions cuisinés au delà du supportable par la Brigade
Criminelle depuis des jours. Ce n’est pas non plus parce que lors de
mon arrestation je refusais déjà de participer à cette mascarade en
déclinant votre aimable proposition de participer à mon propre fichage
en donnant mon ADN que j’ai été incarcéré et que je suis jugé
aujourd’hui. C’est parce qu’il fallait donner une traduction judiciaire
aux légendes policières qui courraient sur les uns et les autres, sur
moi aussi. Après tout, une fiche de renseignement individuelle doit se
fabriquer comme une juge nommée Patricia Simon assumant sa subjectivité
radicale, fabriquerait une maison avec pour seuls outils des hypothèses
sur des pistes caillouteuses conditionnées par plusieurs cercles
d’autres hypothèses. Communément, on appelle cela la science fiction,
ou le dossier «.machine à expulser.».
J’ai refusé et je refuserai à nouveau de donner mon ADN qui m’a été
pris de force pour alimenter vos fichiers inquiétants (et donc vos
chasses aux sorcières). Quand je vois ce qui en est fait, et que je
réfléchis un instant à ce qui aurait pu en être fait (et en sera fait)
par certains régimes défunts si la technologie avait été disponible… Je
suis obligé d’encourager l’humanité toute entière à garder ses
échantillons d’elle-même hors de portée de tout uniforme. Je refuse
d’alimenter le FNAEG parce que son utilisation dorénavant systématique
permet à la fois de cibler telle ou telle catégorie « à risques » et de
gérer les populations selon les intérêts économiques, sanitaires et
migratoires de l’État. Parce que je rejette la logique de ce monde, où
la génétique nous réduit à des objets de statistiques pour lesquelles
la planète entière devient un champ d’expérimentation. La génétique
offre aux chercheurs d’État un potentiel d’expérimentations non
consenties sur le vivant dont il faut nous prémunir, dont j’ai cherché
sans succès à me prémunir. Vous qui pensez pouvoir disposer de ma vie
en m’incarcérant, de mes mouvements et de mes relations avec vos
contrôles judiciaires, de mon corps avec vos sévices pénitentiaires,
vous qui pensez que mon corps ne m’appartient pas, que des milliards de
personnes doivent se soumettre aux diktats légaux de quelques-uns ; si
je croyais comme vous en la justice, nous inverserions les rôles et ce
serait moi qui vous mettrais en accusation aujourd’hui pour avoir
cherché à détruire ma vie et pour avoir fait tout le possible, en
collaboration avec le sadisme froid des tacticiens supplicieurs de
l’Administration Pénitentiaire, pour que par des aménagements divers ma
détention soit émaillée d’épisodes extrêmes. Peut être que vous allez
penser que cette déclaration constitue un outrage, mais alors, vos
actes, vos décisions, vos institutions, votre autorité, que
constituent-ils à part le plus grand des outrages que la terre ait
connue ? Je pose la question dans ce tribunal même si cela ne sert à
rien, mais qui sont les terroristes ? La réponse me paraît évidente.
Ils sont multiples. Ce sont les rouages punitifs de cette société
carcérale. C’est vous. Et ce sont ceux qui, avec toute la lâcheté qui
les caractérise, ont par exemple attaqué le Bataclan et un commerce
juif dans les rues de Paris comme nous nous en souvenons tous. Me
comparer à eux comme à vos pitbulls à cagoule est un affront indélicat
à toutes mes convictions, sinon impardonnable. Assimiler mes idées
fondamentalement anarchistes au terrorisme n’est bien que l’énième
bassesse qui compose cette affaire.
« La Justice est née là où nous avons perdu le contrôle de nos vies » Bruno Filippi
Tous autant que vous êtes, je vous tiens pour responsables des
conditions particulières que votre justice m’a réservé, vous endossez
vous-mêmes cette responsabilité en enfilant chaque matin vos robes et
en signant à tour de bras des refus de demandes de mise en liberté à
des individus privés de liberté.
Je ne me sentirai jamais libre tant qu’il y aura des prisons, et je me
battrai contre elles jusqu’à mon dernier souffle. Bombardez moi de vos
peines, rendez moi plus pauvre et moins libre encore si cela vous
chante. Vous n’obtiendrez pas ma participation ni mon accord. Vous ne
me trouverez ni obéissant ni résigné. Et si jamais l’idée vous revenait
aujourd’hui ou demain, sachez déjà que je refuse de me soumettre à
votre autorité et que je ne me livrerai pas à vos gardes. Vous m’avez
déjà trop enlevé de ma vie et je ne vous donnerai pas plus. Ce que vous
pourriez encore en vouloir, il faudra me le prendre. Cela vaut
également pour ma parole et mon ADN que je continuerai de garder pour
moi. Il faudra vous contenter de cette déclaration et des empreintes
digitales que vous pourrez investiguer si vous n’avez vraiment plus
honte de rien.
La véritable réponse à votre procès ne se trouve ni dans cette
déclaration, ni dans la plaidoirie de mon avocat, parce que comme la
vérité, elle ne sortira jamais d’un palais de justice ou d’un procès,
ni des cieux. Elle se trouvera dans les terrestres insurrections et les
révolutions qui tenteront de mettre à bas votre autorité et secoueront
vos édifices impossibles, elle vous réduiront au même rang que tous
ceux que vous envoyez en prison à la chaîne aujourd’hui. La liberté se
vengera contre les structures institutionnelles. Déjà en 1890,
l’anarchiste Louise Michel déclarait : « Il faut bien que la vérité monte des bouges, puisque d’en haut ne viennent que des mensonges. »
Au lieu de voler son nom pour le mettre sur le fronton de vos écoles
d’endoctrinement, vous feriez mieux d’écouter son avertissement.
C’était aussi écrit dans un petit tract intitulé « De Sidi Bouzid à
Bab-el-Oued, contre le règne de l’État, du pouvoir et du fric », que
vos fins limiers ont saisi (ou détruit je ne sais plus) par milliers
d’exemplaires : « Nous qui vivons en
démocratie, nous pouvons affirmer que même si au quotidien, les
conditions de vie y sont moins dures qu’en dictature, les libertés
démocratiques ne nous ont jamais rendus libres. La liberté que nous
désirons, elle, est totale et inconditionnelle. C’est pourquoi ce fond
de l’air insurrectionnel, comme en Grèce depuis décembre 2008, ou en
novembre 2005 en France, nous réchauffe le cœur ». Cet espoir se
renouvelle chaque jour, et vous n’y pourrez jamais rien, vous êtes
impuissants à contrôler les pulsions de liberté qui traversent
l’individu, et la force qu’il peut tirer de la libre-association avec
d’autres individus, par exemple, pour combattre l’existant.
* * *
J’exige la restitution immédiate de tous les scellés, de tous les
ordinateurs, livres et matériel volés par vos enquêteurs le long des
années. J’exige la relaxe immédiate de tous les inculpés, puis de
l’humanité, des baleines et du vivant qui réglera moins mal ses
affaires sans vous, ainsi que l’arrêt immédiat de la construction de
nouvelles prisons. La révolte s’occupera des anciennes.
Je tiens ici à exprimer ma solidarité internationaliste avec tous les
inculpés et les prisonniers de la guerre sociale en cours depuis
toujours. Nos révoltes et nos luttes font nos solidarités, vice & versa. La lutte continue, encore et toujours, ici, ailleurs, partout, tout le temps.
Mort à l’État et vive l’anarchie !
Voila pour votre « enquête de personnalité », on ne pourra pas dire
qu’elle est bâclée, comparée à votre dossier. Pour finir, je prends
partie en faveur de la liberté et je plaide pour l’abolition de l’État
et du Capital.
23 juin 2017,
16ème chambre du TGI de Paris.
n° d’écrou 293350
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