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Citoyens,
après la gloire de donner la liberté à la France, après celle de
vaincre ses ennemis, il n'en est pas de plus grande que de préparer aux
générations futures une éducation digne de la liberté ; tel fut le but
que Lepeletier se proposa. Il partit de ce principe que tout ce qui est
bon pour la société doit être adopté par ceux qui ont pris part au
contrat social. Or, s'il est bon d'éclairer les hommes, notre collègue,
assassiné par la tyrannie, mérita bien de l'humanité.
Mais que doit faire le législateur ? Il doit concilier ce qui convient
aux principes et ce qui convient aux circonstances. On a dit contre le
plan que l'amour paternel s'oppose à son exécution : sans doute il faut
respecter la nature même dans ses écarts. Mais, si nous ne décrétons
pas l'éducation impérative, nous ne devons pas priver les enfants du
pauvre de l'éducation.
La plus grande objection est celle de la finance ; mais j'ai déjà dit
qu'il n'y a point de dépense réelle là où est le bon emploi pour
l'intérêt public, et j'ajoute ce principe, que l'enfant du peuple sera
élevé aux dépens du superflu des hommes à fortunes scandaleuses. C'est
à vous, républicains célèbres, que j'en appelle ; mettez ici tout le
feu de votre imagination, mettez-y toute l'énergie de votre caractère,
c'est le peuple qu'il faut doter de l'éducation nationale.
Quand vous semez dans le vaste champ de la République, vous ne devez
pas compter le prix de cette semence. Après le pain, l'éducation est le
premier besoin du peuple. Je demande qu'on pose la question : sera-t-il
formé aux dépens de la nation des établissements où chaque citoyen aura
la faculté d'envoyer ses enfants pour l'instruction publique ?
Après une intervention de Charlier, Guyomard et Robespierre, Danton continua :
C'est aux moines, cette espèce misérable, c'est au siècle de Louis XIV,
où les hommes étaient grands par leurs connaissances, que nous devons
le siècle de la philosophie, c'est-à-dire de la raison mise à la portée
du peuple ; c'est aux jésuites, qui se sont perdus par leur ambition
politique, que nous devons ces élans sublimes qui font naître
l'admiration. La République était dans les esprits vingt ans au moins
avant sa proclamation. Corneille faisait des épîtres dédicatoires à
Montoron, mais Corneille avait fait le Cid, Cinna ; Corneille avait
parlé en Romain, et celui qui avait dit : “Pour être plus qu'un roi, tu
te crois quelque chose”, était un vrai républicain.
Allons donc à l'instruction commune ; tout se rétrécit dans l'éducation
domestique, tout s'agrandit dans l'éducation commune. On a fait une
objection en présentant le tableau des affections paternelles ; et moi
aussi, je suis père, et plus que les aristocrates qui s'opposent à
l'éducation commune, car ils ne sont pas sûrs de leur paternité. Eh
bien, quand je considère ma personne relativement au bien général, je
me sens élevé ; mon fils ne m'appartient pas, il est à la République ;
c'est à elle à lui dicter ses devoirs pour qu'il la serve bien.
On a dit qu'il répugnerait aux coeurs des cultivateurs de faire le sacrifice de leurs enfants.
Eh bien, ne les contraignez pas, laissez-leur-en la faculté seulement.
Qu'il y ait des classes où il n'enverra ses enfants que le dimanche
seulement, s'il le veut. Il faut que les institutions forment les
moeurs. Si vous attendiez pour l'État une régénération absolue, vous
n'auriez jamais d'instruction. Il est nécessaire que chaque homme
puisse développer les moyens moraux qu'il a reçus de la nature. Vous
devez avoir pour cela des maisons communes, facultatives, et ne point
vous arrêter à toutes les considérations secondaires. Le riche payera,
et il ne perdra rien s'il veut profiter de l'instruction pour son fils.
Je demande que, sauf les modifications nécessaires, vous décrétiez
qu'il y aura des établissements nationaux où les enfants seront
instruits, nourris et logés gratuitement, et des classes où les
citoyens qui voudront garder leurs enfants chez eux pourront les
envoyer s'instruire.
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