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On
dirait que nous sommes coincés dans une impasse. Le capitalisme tel que
nous le connaissons semble tomber en ruine. Mais alors que les
institutions financières titubent et s’effondrent, il n’y a aucune
alternative évidente. La résistance organisée paraît dispersée et
incohérente ; le mouvement altermondialiste n’est plus que l’ombre de
ce qu’il était. Il y a de bonnes raisons de penser que, d’ici plus ou
moins une génération, le capitalisme n’existera plus pour la simple et
bonne raison qu’il est impossible de maintenir perpétuellement une
croissance infinie sur une planète aux ressources limitées. Face à
cette perspective, la réaction irréfléchie – même venant des «.progressistes.»
– est souvent, par peur, de se raccrocher au capitalisme parce qu’on
n’est tout simplement pas capable d’imaginer une alternative qui ne
soit encore pire.
La première question que nous devrions nous poser est : comment cela
est-il arrivé ? Est-il normal que les êtres humains soient incapables
de s’imaginer à quoi ressemblerait un monde meilleur ?
Le désespoir n’est pas naturel ; il est fabriqué. Si nous voulons
vraiment comprendre cette conjoncture, nous devons commencer par saisir
que ces trente dernières années ont vu la construction d’une vaste
mécanique bureaucratique vouée à la création et l’entretien du
désespoir, comme une sorte de machine géante conçue avant tout pour
détruire la moindre idée d’avenirs alternatifs possibles. On la doit à
une véritable obsession de la part des dirigeants du monde de s’assurer
que les mouvements sociaux ne puissent être vus comme grandissants,
florissants, proposant des alternatives ; que ceux qui défient les
arrangements du pouvoir en place ne puissent jamais, en aucune
circonstance, être perçus comme victorieux. Pour cela, il est
nécessaire de créer un vaste réseau d’armées, de prisons, de polices,
de formes variées d’entreprises de sécurité, ainsi que des services de
renseignements militaires et policiers, des machines de propagande en
tous genres, dont la plupart n’a même pas à s’attaquer directement aux
alternatives possibles tant qu’elle parvient à créer un climat de peur
invasif, de conformité chauviniste et de simple désespoir, faisant
passer n’importe quel désir de changer le monde pour un fantasme vain.
Maintenir ce système semble être la priorité des partisans du « libre
marché », davantage encore que de préserver une quelconque forme de
marché économique viable. Comment expliquer autrement, par exemple, ce
qui s’est passé dans l’ancienne URSS, où l’on aurait pu imaginer que la
fin de la guerre froide entraînerait le démantèlement de l’armée et du
KGB et la reconstruction des usines, mais en fait, c’est précisément
l’inverse qui s’est produit ? Ce n’est qu’un exemple extrême de ce qui
s’est passé partout. D’un point de vue économique, cet appareil est un
pur poids mort ; tous les fusils, les caméras de surveillance et les
moteurs de propagande sont extraordinairement coûteux et ne produisent
vraiment rien, et par conséquent, ils entraînent tout le système
capitaliste dans leur chute, et peut-être même la terre elle-même.
Les spirales de la financiarisation et la ribambelle de bulles
économiques que nous avons traversées sont la conséquence directe de ce
système. Ce n’est pas une coïncidence si les États-Unis sont à la fois
devenus la première puissance militaire (de « sécurité ») au monde
ainsi que les plus importants promoteurs de créances bidons. Ce système
n’existe que pour broyer et pulvériser l’imagination humaine, pour
détruire toute possibilité d’envisager d’autres futurs. Il ne nous
reste donc plus qu’à nous figurer toujours plus d’argent et des
spirales de déficit hors de contrôle. Qu’est-ce que la dette après
tout, sinon de l’argent imaginaire dont la valeur ne peut être réalisée
que dans le futur : de futurs profits, les bénéfices de l’exploitation
de travailleurs qui ne sont pas encore nés. Le capital financier est,
tour à tour, l’achat puis la vente de ces futurs profits imaginaires.
Si l’on admet que le capitalisme lui-même existera éternellement, alors
le seul type de démocratie économique qu’il nous reste à concevoir en
est une où tout le monde est également libre d’investir dans le marché,
de mouvoir son pion dans ce jeu de vente et d’achat de futurs profits
imaginaires, même si ces profits se font sur notre propre dos. La
liberté est devenue le droit de se partager les bénéfices de notre
propre esclavage perpétuel.
Et puisque cette bulle s’est appuyée sur la destruction des futurs, il
semblerait qu’il n’y ait tout bonnement plus rien depuis qu’elle a
éclaté, du moins pour le moment.
Néanmoins, ceci est évidemment temporaire. Si l’histoire de
l’altermondialisme nous apprend quelque chose, c’est que, dès qu’une
quelconque brèche paraît s’ouvrir, l’imagination jaillit aussitôt.
C’est ce qui s’est effectivement produit à la fin des années 1990 quand
il a semblé, l’espace d’un instant, que nous nous dirigions peut-être
vers un monde de paix. Aux États-Unis, depuis cinquante ans, à chaque
fois que semble émerger une quelconque possibilité de paix, la même
chose se produit : l’émergence d’un mouvement social radical attaché
aux principes d’action directe et de démocratie participative, visant à
révolutionner le sens profond de la vie politique. Ce fut, vers la fin
des années 1950, celui des droits civiques ; à la fin des années 1970,
le mouvement antinucléaire. Cette fois, ça s’est déclenché à l’échelle
planétaire et a défié frontalement le capitalisme. Ces mouvements ont
tendance à être extraordinairement efficaces. Le mouvement pour la
justice mondiale l’a certainement été. Peu de gens réalisent que l’une
des principales raisons pour lesquelles il a semblé vaciller et
disparaître si rapidement est qu’il a atteint ses principaux objectifs
si rapidement. Aucun d’entre nous n’a rêvé, lorsque nous organisions
les manifestations à Seattle en 1999 ou lors des réunions du FMI à
Washington en 2000, qu’en l’espace de trois ou quatre ans seulement, le
processus de l’OMC se serait effondré, que les idéologies du
“libre-échange” seraient considérées comme presque entièrement
discréditées, que tous les nouveaux pactes commerciaux qu’ils nous ont
bombardés – du MIA à la loi sur les zones de libre-échange des
Amériques – auraient été défaits ; la Banque Mondiale entravée, le
pouvoir du FMI sur la majeure partie de la population mondiale
effectivement détruit. Mais c’est précisément ce qui s’est passé. Le
sort du FMI est particulièrement surprenant. Autrefois la terreur du
Sud, il n’est plus qu’un vestige brisé, honni, affaibli et discrédité,
réduit à vendre ses réserves d’or et à se chercher désespérément une
nouvelle mission mondiale. Entre-temps, la majeure partie de la “dette
du tiers monde” a tout simplement disparu. Tout ceci est le résultat
direct d’un mouvement qui a réussi à mobiliser la résistance mondiale
de manière si efficace que les institutions régnantes ont d’abord été
discréditées, et finalement, que les dirigeants des gouvernements
d’Asie et surtout d’Amérique latine ont été contraints par leurs
propres populations à dénoncer le bluff du système financier
international. Comme je l’ai déjà soutenu, une grande partie de la
raison pour laquelle le mouvement a été jeté dans la confusion était
qu’aucun d’entre nous n’avait vraiment envisagé la victoire.
Mais bien sûr, il y a une autre raison. Rien ne terrifie autant les
dirigeants du monde, et particulièrement des États-Unis, que le danger
de la démocratie de base. Chaque fois qu’un mouvement véritablement
démocratique commence à émerger – en particulier, un mouvement basé sur
les principes de la désobéissance civile et de l’action directe – la
réaction est la même : le gouvernement fait des concessions immédiates
(bien, vous pouvez avoir le droit de vote ; d’accord on abandonne les
centrales nucléaires), puis commence à augmenter les tensions
militaires à l’étranger. Le mouvement est alors obligé de se
transformer en un mouvement antiguerre qui, presque invariablement, est
organisé de manière beaucoup moins démocratique. Ainsi, le mouvement
des droits civils a été suivi par le Vietnam, le mouvement
antinucléaire par des guerres par procuration au Salvador et au
Nicaragua, le mouvement pour la justice globale, par la “guerre contre
la terreur”.
Mais à ce stade, nous pouvons voir cette “guerre” pour ce qu’elle était
: l’effort chancelant et manifestement voué à l’échec d’une puissance
en déclin pour faire de sa combinaison particulière de machines de
guerre bureaucratiques et de capitalisme financier spéculatif une
condition mondiale permanente. Si l’architecture pourrie s’est
effondrée brusquement à la fin de l’année 2008, c’est au moins en
partie parce qu’une grande partie du travail avait déjà été accomplie
par un mouvement qui, face à la vague de répression qui a suivi le 11
septembre, combinée à la confusion sur la manière de donner suite à son
succès initial étonnant, avait semblé avoir largement disparu de la
scène.
Bien sûr, ce n’est pas vraiment le cas.
Nous sommes clairement à deux doigts d’une résurgence massive de
l’imaginaire collectif. Ça ne devrait pas être trop dur. La plupart des
ingrédients sont déjà réunis. Le problème, c’est que, notre perception
ayant été déformée par des décennies de propagande incessante, nous ait
été aussi largement calomnié. Le discours classique – que nous
acceptons plus ou moins sans réfléchir – est que le communisme signifie
le contrôle étatique de l’économie, et c’est une rêverie utopique
impossible puisque l’Histoire nous a prouvé tout simplement que «.ça ne marche pas.». Le capitalisme, quoique désagréable, reste ainsi la seule option.
Tout ceci est basé sur l’identification du terme “communisme” avec le
type de système qui existait dans l’ancien bloc soviétique, ou en
Chine, une économie dirigée du haut vers le bas. Il est vrai que dans
certaines circonstances, notamment lorsqu’il s’agit de rattraper un
retard industriel, d’organiser de vastes projets comme des programmes
spatiaux, ou surtout de mener des guerres, ces systèmes peuvent se
montrer étonnamment efficaces. C’est pourquoi les puissances
capitalistes étaient si effrayées par l’Union Soviétique des années 30
: l’URSS connaissait une croissance de 10 % par an alors que le reste
du monde stagnait. Mais l’ironie est que les personnes qui ont organisé
ces systèmes, même si elles se sont appelées communistes, n’ont jamais
prétendu que ce système très hiérarchique était lui-même un
“communisme”. Elles l’appelaient “socialisme” (un autre point
discutable, mais nous le laisserons de côté pour l’instant) et voyaient
le communisme comme une société utopique, véritablement libre et sans
État, qui existerait à un moment donné dans un avenir inconnu. Il est
vrai que le système qu’elles ont créé mérite d’être honni. Mais il n’a
presque rien à voir avec le communisme au sens premier du terme.
Mais en réalité, le communisme renvoie simplement à toute situation où les gens agissent selon le principe.:
chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins – ce qui est la
manière de se comporter d’à peu près tous ceux qui travaillent à
plusieurs afin d’accomplir quelque chose. Si deux personnes réparent
une canalisation et que l’un d’eux dit : « Passe-moi la clef à molette
» ; l’autre ne répond pas « Et qu’est-ce que j’y gagne ? » – s’ils
veulent vraiment qu’elle soit réparée, bien entendu. Ceci s’applique
même s’ils sont employés par Bechtel ou Citigroup. Ils appliquent des
principes communistes parce que c’est la seule chose qui fonctionne
véritablement. C’est aussi la raison pour laquelle des villes ou pays
entiers retournent à des formes rudimentaires de communisme à la suite
de désastres naturels ou d’effondrements économiques (on pourrait dire
que, dans ces circonstances, le marché et les chaînes de commandement
hiérarchiques sont un luxe qu’on ne peut se permettre). Plus il faut de
créativité, plus les gens doivent improviser pour une tâche donnée et
plus égalitaire sera certainement la forme de communisme qui en
résultera : c’est pourquoi même les ingénieurs informaticiens
républicains, quand ils essayent d’innover en matière de logiciels, ont
tendance à former de petits collectifs démocratiques. C’est seulement
lorsque le travail devient standardisé et assommant – comme sur les
lignes de production – qu’il est alors possible d’imposer des formes de
communisme plus autoritaires, voire fascistes. Mais le fait est que
même les entreprises privées sont organisées de façon communiste en
interne.
Donc le communisme est déjà présent. La question est de trouver comment
le démocratiser plus amplement. Le capitalisme, à son tour, est juste
une manière possible d’organiser le communisme — et il devient de plus
en plus clair qu’elle est plutôt désastreuse. Nous devons clairement
songer à une meilleure alternative : de préférence, une qui ne nous
pousse pas systématiquement à nous sauter mutuellement à la gorge.
Tout ceci aide à comprendre pourquoi les capitalistes sont si enclins à
investir autant d’argent dans la fabrique du désespoir. Le capitalisme
n’est pas juste un système qui gère mal le communisme : il a une
tendance notoire à régulièrement vriller en spirales incontrôlables. À
chaque fois que cela se produit, ceux qui en profitent doivent
convaincre le reste du monde – et plus que tout autre les techniciens,
les docteurs, les enseignants, les inspecteurs et les experts en
assurance – qu’il n’y a véritablement rien d’autre à faire que de
consciencieusement recoller les morceaux en quelque chose qui ressemble
à la forme initiale. Ceci malgré le fait que la plupart de ceux qui
finissent par faire ce travail de reconstruction du système ne
l’apprécient pas vraiment, et que tous ont un vague soupçon, enraciné
dans leurs innombrables expériences du communisme ordinaire, qu’il doit
bien être possible de créer un système a minima un peu moins idiot et
injuste.
C’est pourquoi, comme la Grande Dépression l’a prouvé, l’existence
d’une alternative plausible – même une aussi douteuse que celle de
l’Union soviétique des années 1930 – peut transformer une récession en
une crise politique apparemment insoluble.
Cela contribue à expliquer les étranges contorsions idéologiques par
lesquelles on nous dit constamment que “le communisme ne fonctionne
tout simplement pas”. J’ai vu des mères dire cela à leurs filles de
douze ans alors qu’elles suggéraient timidement de partager des tâches
de manière coopérative. (Comme si le problème de l’Union Soviétique
était qu’il n’y avait personne pour donner des ordres). En fait, il est
carrément bizarre d’observer la rapidité avec laquelle la rhétorique
dominante est passée de l’affirmation qu’un système comme l’URSS, sans
marché intérieur, ne pourrait pas rivaliser, ni sur le plan
technologique ni sur celui de la fourniture de biens de consommation,
avec ses rivaux capitalistes les plus riches et les plus avancés, à
l’affirmation qu’une telle société ne pourrait pas exister du tout. Je
pourrais en profiter pour rappeler à mes lecteurs qu’elle a bel et bien
existé. Pendant plus de quatre-vingts ans. C’était une puissance
mondiale, qui a vaincu Hitler et envoyé des astronautes dans l’espace.
Évidemment, personne de sain d’esprit ne souhaiterait jamais recréer un
tel système. Mais le travail idéologique consistant à prétendre que
c’était en quelque sorte impossible semble destiné, en réalité, à nous
convaincre que le vrai communisme, le communisme du quotidien, que
l’Union Soviétique et ses alliés n’ont jamais embrassé, ne peut pas
avoir de signification sociale importante. Parce que si nous
commencions à réfléchir à la façon dont nos vies fonctionnent
réellement, nous ne serions peut-être pas si désireux de continuer à
obéir aux ordres et à reconstruire consciencieusement l’appareil de
notre propre oppression chaque fois qu’il s’effondre à nouveau.
Non pas que quelqu’un de sensé puisse rêver de recréer quelque chose
comme l’ancienne Union soviétique. Ceux qui tentent de saboter le
système savent maintenant, après d’amères expériences, que nous ne
pouvons pas placer notre foi dans l’État. Dans certaines parties du
monde, les gouvernements et leurs représentants ont en grande partie
retiré leurs mises et sont partis : il existe des pans entiers
d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, et probablement aussi des territoires
des Amériques, où la présence de l’État et du capital est minimale,
voire inexistante, mais comme les gens n’ont pas montré d’inclination à
s’entretuer, personne ne l’a vraiment remarqué. Certains d’entre eux
ont improvisé de nouveaux arrangements sociaux dont nous n’avons tout
simplement aucun moyen de connaître l’existence. À la place, la
dernière décennie a vu se développer des médias internationaux. Elles
vont des petites coopératives et associations jusqu’à de vastes
expériences anticapitalistes : archipels d’usines occupées au Paraguay
ou en Argentine ou de plantations de thé autonomes et de poissonneries
en Inde, instituts autonomes en Corée, communautés insurgées au Chiapas
ou en Bolivie, associations de paysans sans terre, squatteurs urbains,
alliances de quartier, qui poussent dans tous les endroits dont le
pouvoir de l’État et le marché mondial semblent se détourner l’espace
d’un instant. Elles n’ont peut-être presque aucune unité idéologique et
beaucoup ignorent leurs existences réciproques, mais toutes sont
marquées d’un désir commun d’en finir avec la logique du capital. Et
dans de nombreux endroits, elles commencent à s’allier. Des « économies
de solidarité » existent sur chaque continent, dans au moins 80 pays
différents. Nous sommes au point où nous commençons à percevoir les
contours de ce que pourrait être une alliance au niveau mondial, créant
de nouvelles formes de communs planétaires afin de créer une véritable
civilisation d’insurgés.
Les alternatives, rendues visibles, font voler en éclats le sentiment
d’inéluctabilité, l’idée que le système devrait nécessairement être
rafistolé à l’identique, c’est pourquoi il est devenu si impératif pour
la gouvernance mondiale de les éradiquer ou, quand ce n’est pas
possible, de s’assurer que personne ne les connaisse. Prendre
conscience de ceci nous permet de voir nos actes sous un nouveau jour :
nous sommes tous déjà communistes quand nous travaillons sur des
projets en commun, tous déjà anarchistes quand nous résolvons des
problèmes sans avoir recours aux avocats ou à la police, tous
révolutionnaires quand nous fabriquons quelque chose de véritablement
neuf.
On pourrait objecter qu’une révolution ne peut pas se limiter à cela.
C’est vrai. À ce sujet, les grands débats stratégiques ne font que
commencer. Je vais cependant suggérer une chose. Depuis au moins cinq
mille ans, les mouvements populaires ont eu tendance à se concentrer
sur les luttes à propos de la dette, c’était déjà le cas bien avant que
le capitalisme n’existe. Il y a une raison à cela : la dette est le
moyen le plus efficace jamais créé afin de prendre des relations
fondamentalement basées sur la violence et de fortes inégalités pour
les faire apparaître comme justes et morales aux yeux de tous les
concernés. Quand la duperie ne fonctionne plus, tout explose. Comme
aujourd’hui. À l’évidence, la dette s’est révélée être le plus gros
point faible du système, le point où tout peut partir en vrille. Cela
offre aussi d’innombrables opportunités pour s’organiser. Certains
parlent de manifestations des débiteurs ou de syndicalisation des
débiteurs. Pourquoi pas. Mais nous pouvons au moins commencer par nous
mobiliser contre les expulsions en nous engageant, quartier par
quartier, à nous soutenir mutuellement si certains d’entre nous se
voient chassés de leur domicile. Le pouvoir ne réside pas tant dans le
fait que défier les régimes de la dette revienne à défier la fibre même
du capitalisme – son fondement moral – qui apparaît désormais comme
l’amas de fausses promesses qu’elle est, mais de, ce faisant, créer une
nouvelle promesse. Après tout, une dette n’est que cela, une promesse,
et le monde d’aujourd’hui regorge de promesses non tenues. On pourrait
parler ici de la promesse qui nous a été faite par l’État, à savoir que
si nous abandonnions nos droits de gérer nos propres affaires
collectivement, un minimum de sécurité de vie nous serait garanti en
retour. Ou de la promesse faite par le capitalisme que nous pourrions
vivre comme des rois si nous étions prêts à prendre des parts dans
notre propre subordination collective. Tout ceci a fini par
s’effondrer. Il ne nous reste que ce que nous pouvons nous promettre
mutuellement. Directement. Sans la médiation de la bureaucratie
économique et politique. La révolution commence lorsqu’on se demande
quel genre de promesses se font les hommes et les femmes libres entre
eux, et dans quelle mesure, en les faisant, commençons-nous à créer un
monde nouveau.
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