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[…] Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons la
justice et que partout nous voyons l’injustice régner autour de nous.
C’est en sens inverse du travail que sont distribués les produits du
travail. L’oisif a tous les droits, même celui d’affamer son semblable,
tandis que le travailleur n’a pas toujours le droit de mourir de faim
en silence : on l’emprisonne quand il est coupable de grève. Des gens
qui s’appellent prêtres essaient de faire croire au miracle pour que
les intelligences leur soient asservies ; des gens appelés rois se
disent issus d’un maître universel pour être maître à leur tour ; des
gens armés par eux taillent, sabrent et fusillent à leur aise ; des
personnes en robe noire qui se disent la justice par excellence
condamnent le pauvre, absolvent le riche, vendent souvent les
condamnations et les acquittements ; des marchands distribuent du
poison au lieu de nourriture, ils tuent en détail au lieu de tuer en gros
et deviennent ainsi des capitalistes honorés. Le sac d’écus, voilà le
maître, et celui qui le possède tient en son pouvoir la destinée des
autres hommes. Tout cela nous paraît infâme et nous voulons le changer.
Contre l’injustice nous faisons appel à la révolution.
Mais « la justice n’est qu’un mot, une convention pure »,
nous dit-on. « Ce qui existe, c’est le droit de la force ! » Eh bien,
S’il en est ainsi, nous n’en sommes pas moins révolutionnaires. De deux
choses l’une : ou bien la justice est l’idéal humain et, dans ce cas,
nous la revendiquons pour tous ; ou bien la force seule gouverne les
sociétés et, dans ce cas, nous userons de la force contre nos ennemis.
Ou la liberté des égaux ou la loi du talion.
Mais pourquoi se presser, nous disent tous ceux qui, pour se
dispenser d’agir eux-mêmes, attendent tout du temps. La lente évolution
des choses leur suffit, la révolution leur fait peur. Entre eux et nous
l’histoire a prononcé. Jamais aucun progrès soit partiel, soit
général ne s’est accompli par simple évolution pacifique, il s’est
toujours fait par la révolution soudaine. Si le travail de
préparation s’opère avec lenteur dans les esprits, la réalisation des
idées a lieu brusquement : l’évolution se fait dans le cerveau, et ce
sont les bras qui font la révolution.
Et comment procéder à cette révolution que nous voyons se
préparer lentement dans la Société et dont nous aidons l’avènement par
tous nos efforts ? Est-ce en nous groupant par corps subordonnés les
uns aux autres ? Est-ce en nous constituant comme le monde bourgeois
que nous combattons en un ensemble hiérarchique, ayant ses maîtres
responsables et ses inférieurs irresponsables, tenus comme des
instruments dans la main d’un chef ? Commencerons-nous par abdiquer
pour devenir libres ? Non, car nous sommes des anarchistes,
c’est-à-dire des hommes qui veulent garder la pleine responsabilité de
leurs actes, qui agissent en vertu de leurs droits et de leurs devoirs
personnels, qui donnent à un être son développement naturel, qui n’ont
personne pour maître et ne sont les maîtres de personne.
Nous voulons nous dégager de l’étreinte de l’État, n’avoir
plus au-dessus de nous de supérieurs qui puissent nous commander,
mettre leur volonté à la place de la nôtre.
Nous voulons déchirer toute loi extérieure, en nous tenant au développement conscient des lois intérieures de toute notre nature.
En supprimant l’État, nous supprimons aussi toute morale officielle,
sachant d’avance qu’il ne peut y avoir de la moralité dans l’obéissance
à des lois incomprises, dans l’obéissance de pratique dont on ne
cherche pas même à se rendre compte. Il n’y a de morale que dans la
liberté. C’est aussi par la liberté seule que le renouvellement reste
possible. Nous voulons garder notre esprit ouvert, se prêtant d’avance
à tout progrès, à toute idée nouvelle, à toute généreuse initiative.
Mais, si nous sommes anarchistes, les ennemis de tout maître,
nous sommes aussi communistes internationaux, car nous comprenons que
la vie est impossible sans groupement social. Isolés, nous ne pouvons
rien, tandis que par l’union intime nous pouvons transformer le monde.
Nous nous associons les uns aux autres en hommes libres et égaux,
travaillant à une œuvre commune et réglant nos rapports mutuels par la
justice et la bienveillance réciproque. Les haines religieuses et
nationales ne peuvent nous séparer, puisque l’étude de la nature est notre seule religion
et que nous avons le monde pour patrie. Quant à la grande cause des
férocités et des bassesses, elle cessera d’exister entre nous. La terre
deviendra propriété collective, les barrières seront enlevées et
désormais le sol appartenant à tous pourra être aménagé pour l’agrément
et le bien-être de tous. Les produits demandés seront précisément ceux
que la terre peut le mieux fournir, et la production répondra
exactement aux besoins, sans que jamais rien ne se perde comme dans le
travail désordonné qui se fait aujourd’hui. De même la distribution de
toutes ces richesses entre les hommes sera enlevée à l’exploiteur privé
et se fera par le fonctionnement normal de la Société tout entière.
Nous n’avons point à tracer d’avance le tableau de la société future : C’est
à l’action spontanée de tous les hommes libres qu’il appartient de la
créer et de lui donner sa forme, d’ailleurs incessamment changeante
comme tous les phénomènes de la vie. Mais ce que nous savons, c’est
que toute injustice, tout crime de lèse-majesté humaine, nous
trouveront toujours debout pour les combattre. Tant que l’iniquité
durera, nous, anarchistes-communistes internationaux, nous resterons en
état de révolution permanente.
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