DŽclaration de Fabio

Tribunal pŽnal de Altona ˆ Hambourg

- paru dans lundimatin le 27 novembre 2017 -


ArrtŽ lors des journŽes dĠŽmeutes qui ont secouŽ le G20 de Hambourg les 7 et 8 juillet 2017, Fabio est accusŽ de jet de projectile et de rŽbellion. Il est incarcŽrŽ depuis 4 mois ˆ la prison de Billwerder et comparaissait le 7 novembre dernier devant le tribunal pour mineur dĠAltona ˆ Hambourg. Nous reproduisons ici la dŽclaration quĠil a faite ce jour-lˆ devant ses juges et qui contient plus de vŽritŽ, de sincŽritŽ et de justesse que tous les solipsismes inconsŽquents de procureurs.


Madame la juge, messieurs les jurŽs, madame le procureur, monsieur lĠassistant du tribunal pour mineurs.

Vous, aujourdĠhui, vous tes appelŽs ˆ juger un homme. Vous lĠavez appelŽ un Ç criminel agressif È et Ç.irrespectueux de la dignitŽ humaine È. Personnellement je ne prte aucune attention aux appellations que vous mĠattribuez. Moi, je suis seulement un garon de bonne volontŽ.

Avant tout je voudrais dire que probablement ces messieurs les politiciens, ces messieurs les commissaires de police et ces messieurs les magistrats pensent quĠen incarcŽrant et arrtant quelques jeunes cela puisse arrter la contestation dans les rues. Probablement ces messieurs pensent que les prisons suffisent ˆ Žteindre les voix rebelles qui sĠŽlvent de partout. Probablement ces messieurs pensent que la rŽpression arrtera notre soif de libertŽ, notre volontŽ de construire un monde meilleur.

Et bien ces messieurs se trompent. Et cĠest lĠHistoire qui leur donne tort.

Parce quĠun nombre incalculable de garons et de filles sont passŽs, comme moi, devant un tribunal comme celui-ci.

En effet aujourdĠhui cĠest ˆ Hambourg, hier ˆ Gnes et encore avant ˆ Seattle.

Vous, vous essayez dĠempcher la propagation des voix de la rŽvolte qui sĠŽlvent partout par nĠimporte quel moyen Ç lŽgal È, par nĠimporte quel moyen Ç procŽdurier È.

QuoiquĠil arrive, peu importe la dŽcision qui sera prise par ce tribunal, elle nĠaura aucune influence sur notre protestation. Il y aura encore tout autant de garons et de filles qui, portŽs par les mmes idŽaux descendront dans les rues dĠEurope. Se prŽoccupant gure de ces prisons que dans un essoufflement, vous vous efforcez de remplir de prisonniers politiques.

Mais venons-en donc ˆ lĠessentiel, madame la juge, messieurs les jurŽs, madame le procureur, monsieur lĠassistant du tribunal pour mineur.

Venons-en donc ˆ lĠessentiel.

Comme vous pouvez lĠimaginer, je veux user de mon droit de ne pas faire de dŽclarations en rapport avec le fait spŽcifique pour lequel vous me poursuivez. Toutefois je voudrais porter lĠattention sur les motivations qui poussent un jeune ouvrier dĠune petite ville reculŽe des PrŽ-alpes orientales ˆ venir ˆ Hambourg.

Pour manifester son propre dŽsaccord avec le sommet du G20.

G20. Rien que le nom a dŽjˆ en soi, quelque chose de pervers.

Vingt hommes et femmes reprŽsentants des vingt pays les plus riches et les plus industrialisŽs du globe, sĠasseyent autour dĠune table. Ils sĠasseyent tous ensemble pour dŽcider de notre futur. Oui, jĠai bien dit ceci : le notre. Le mien, ainsi que celui de toutes les personnes assises aujourdĠhui dans cette salle, tout comme celui des sept milliards de personnes qui habitent cette belle plante Terre.

Vingt hommes dŽcident de notre vie et de notre mort.

ƒvidemment, la population nĠest pas invitŽe ˆ ce joli banquet. Nous, nous ne sommes que le stupide troupeau des puissants de la Terre. Spectateurs totalement soumis de ce thމtre o une poignŽe de personnes tiennent entre leurs mains lĠhumanitŽ toute entire.

Moi, madame la juge, jĠai beaucoup pensŽ avant de venir ˆ Hambourg.

JĠai pensŽ ˆ monsieur Trump et ˆ ses ƒtats-Unis dĠAmŽrique qui sous le drapeau de la dŽmocratie et de la libertŽ sĠŽrigent comme les gendarmes du monde entier. JĠai pensŽ aux nombreux conflits dŽclenchŽs par le gŽant amŽricain aux quatre coins de la plante. Du Moyen-Orient ˆ lĠAfrique. Tout ceci pour sĠaccaparer du contr™le de telle ou telle ressource ŽnergŽtique. Peu importe si ceux qui meurent, ce sont toujours les mmes : civils, femmes et enfants.

JĠai pensŽ aussi ˆ monsieur Poutine. Nouveau tsar de Russie, qui dans son pays viole systŽmatiquement les droits de lĠHomme et se moque de toute opposition.

JĠai pensŽ aux Saoudiens et ˆ leurs rŽgimes fondŽs sur la terreur avec qui nous, les occidentaux nous faisons des affaires en or.

JĠai pensŽ ˆ Erdogan qui torture, tue et emprisonne ses opposants.

JĠai pensŽ aussi ˆ mon pays, o ˆ coup de lois-dŽcret chaque gouvernement supprime sans trve les droits des Žtudiants et des travailleurs.

En bref, les voici les protagonistes du somptueux banquet qui sĠest tenu ˆ Hambourg en juillet dernier. Les plus grands va-tĠen-guerre et assassins que le monde contemporain connaisse.

Avant de venir ˆ Hambourg jĠai pensŽ aussi ˆ lĠinŽgalitŽ qui frappe, aujourdĠhui, de plein fouet notre plante. Cela me semble presque Žvident de rŽpŽter quĠen effet 1% de la population la plus riche du monde possde la mme richesse que les 99% le plus pauvre. Cela me semble presque Žvident de rŽpŽter que les quatre-vingt cinq hommes les plus riches du monde possde la mme richesse que 50% de la population la plus pauvre. Quatre-vingt cinq hommes contre trois milliards et demi. Ces quelques chiffres suffisent ˆ donner une idŽe.

Ensuite, madame la juge, messieurs les jurŽs, madame le procureur, monsieur lĠassistant du tribunal pour mineurs, avant de venir ˆ Hambourg jĠai pensŽ ˆ ma terre : ˆ Feltre. Le lieu o je suis nŽ, o jĠai grandi et o je veux vivre. La citadelle mŽdiŽvale qui est sertie comme une gemme dans les PrŽ-alpes orientales. JĠai pensŽ aux montagnes qui, au crŽpuscule, se teignent de rose. Aux magnifiques paysages que jĠai la chance de voir depuis ma fentre. A la beautŽ qui traverse ce lieu.

Puis, jĠai pensŽ aux fleuves de ma belle vallŽe, violŽs par les entrepreneurs qui veulent les concessions pour y construire des centrales Žlectriques, sans se prŽoccuper des dommages pour la population et pour lĠŽcosystme.

JĠai pensŽ aux montagnes, frappŽes par le tourisme de masse ou devenues lieu dĠentra”nements militaires.

JĠai pensŽ ˆ ce magnifique endroit o je vis, qui est en passe dĠtre bradŽ ˆ des hommes dĠaffaires sans scrupules, exactement comme dĠautres vallŽes ˆ chaque coin de la plante, o la beautŽ est dŽtruite au nom du progrs.

Dans la lignŽe de toutes ces pensŽes, jĠai donc dŽcidŽ de venir manifester ˆ Hambourg. Pour moi, venir ici Žtait un devoir avant dĠtre un droit.

JĠai trouvŽ cela juste de mĠopposer ˆ ces politiques scŽlŽrates qui sont en train de pousser le monde vers le gouffre.

JĠai trouvŽ cela juste de me battre pour que quelque chose soit au moins un peu plus humain, digne et Žquitable.

JĠai trouvŽ cela juste dĠaller dans la rue pour rŽpŽter que la population nĠest pas un troupeau et quĠelle doit tre consultŽe dans les choix.

Le choix de venir ˆ Hambourg a ŽtŽ celui dĠune prise de parti. Le choix dĠtre du c™tŽ de ceux qui demandent des droits et contre ceux qui veulent leurs en enlever. Le choix dĠtre du c™tŽ de tous les oppressŽs du monde et contre les oppresseurs. Le choix de combattre les puissants, grands et petits, qui utilisent le monde comme si cĠŽtait leur jouet et qui ne se soucient pas du fait que cĠest toujours la population qui en fait les frais.

JĠai fait mon choix et je nĠai pas peur sĠil doit y avoir un prix ˆ payer injustement.

NŽanmoins il y a autre chose que je voudrais vous dire, que vous me croyiez ou non : je nĠaime pas la violence. Mais jĠai des idŽaux et pour ceux-ci jĠai dŽcidŽ de me battre.

Je nĠai pas fini.

Dans une Žpoque historique o partout dans le monde sĠŽrigent de nouvelles frontires, se dŽroule du nouveau fil barbelŽ, se dressent de nouveaux murs des Alpes ˆ la MŽditerranŽe, je trouve cela merveilleux que des milliers de jeunes, de chaque coin de lĠEurope, soient disposŽs ˆ descendre ensemble dans les rues dĠune seule et mme ville pour leur propre futur. Contre chaque frontire. Avec comme seule intention commune, le fait de rendre le monde meilleur par rapport ˆ comment nous lĠavons trouvŽ.

Parce que madame la juge, messieurs les jurŽs, madame le procureur, monsieur lĠassistant du tribunal pour mineurs, parce que nous ne sommes pas le troupeau de ces vingt seigneurs. Nous sommes des femmes et des hommes qui voulons avoir le droit de disposer de notre propre vie.

Et pour cela nous combattons et nous combattrons.