Georges Darien

La Belle France

- Extrait -

« J’ai tort de dire que la femme est catholique. En dehors de celles qui ne sont point liées, même nominalement, aux dégoûtantes superstitions romaines, il y a en France un certain nombre de femmes intelligentes et courageuses qui rejettent les enseignements de l’Église et ont pour le prêtre tout le mépris qu’il mérite. Ces femmes s’efforcent de se soustraire à l’affreuse domination que l’homme, à la voix du scélérat en soutane, leur a imposée ; elles cherchent à conquérir les libertés qui leur sont nécessaires, ou plutôt à les reconquérir ; car la Française des dernières années du XIXe siècle est fort loin de jouir des franchises que possédait son aïeule du XVIIIe siècle, par exemple. La déclaration des Droits de l’Homme a été une pierre tombale posée sur l’existence de la femme. […]

Forces intellectuelles. Grâce à quels miracles de calcul, d’adresse, de patience et d’énergie une mère de famille, dans les classes moyennes et dans les classes pauvres, arrive-t-elle à assurer la subsistance de ceux qui comptent sur son industrie pour réparer les forces qu’ils auront encore à consacrer demain au lamentable combat de leurs existences !

Forces physiques. Il n’y a pas de travail plus exténuant que le travail que la femme a à accomplir dans son ménage. Ce travail est non seulement incessant, il est gratuit. Il n’est jamais rémunéré ; personne n’en tient compte, ni ceux au profit desquels il est accompli, ni les gens qui payent les salaires de ceux-là, ni les économistes qui expliquent pourquoi il y a des salaires. Si la femme venait à exiger demain qu’on lui payât son travail, tout le système capitaliste s’écroulerait immédiatement. Pour la gloire de ce système, pour son maintien, elle doit s’évertuer sans trêve, pour le roi de Prusse. (Sans métaphore, si l’on veut.) Je ne crains point d’exagérer quand j’affirme que le labeur des femmes paye la moitié de l’énorme taxation qui écrase la France. Il serait insensé d’espérer qu’une femme condamnée à de pareils travaux forcés pût avoir d’autre influence qu’une influence stupéfiante sur l’esprit de l’homme. C’est une bête de somme. Son existence n’a pour effet que d’entretenir l’état social actuel. Ce que la bourgeoise fait exprès afin de livrer la France à Rome, la femme du peuple le fait involontairement pour livrer la France au capitalisme. Elle aide l’exploiteur à payer le salaire de son mari et de ses enfants. […]

La prétention des hommes à une grande supériorité sur les femmes est simplement grotesque. Leur immense vanité les empêche de voir que cette supériorité consiste à placer un carcan au cou d’un être qui leur met à son tour des menottes aux poignets ; après quoi ils n’ont plus qu’à tourner en rond, ensemble, au bout d’une chaîne bénie par l’église, dans l’ornière qu’a creusée la tradition. La présomption de l’homme l’aveugle au point de ne pas lui laisser soupçonner l’énorme mépris, souvent saupoudré de compassion affectueuse, que la femme mariée la plus honnête, elle-même, a si souvent pour son mari. Mépris justifié. La sottise dont l’homme fait preuve généralement, le rendrait simplement pitoyable ; mais son outrecuidante infatuation le rend profondément contemptible, — d’autant plus que, les droits qu’il s’arroge, il les fait valoir avec cruauté.; qu’il se montre, non seulement maître glorioleux et imbécile, mais tyran implacable. Le plus ridicule, c’est que, pris individuellement, les hommes font rarement preuve de férocité, et qu’il arrive, même fréquemment, que leur conduite vis-à-vis de leurs femmes dépasse les bornes de la pusillanimité. C’est seulement pris en masse, lorsque l’agglomération de leurs impuissances donne une force rageuse et maladive à la superstition de leurs privilèges, c’est seulement lorsque ces fantoches, les hommes, se transforment en ce tortionnaire, l’Homme — qu’ils manifestent dans toute la hideur de son exclusivisme leur appétit d’autorité.

La femme est le seul être qui, sous la domination despotique et cruelle de l’homme, n’ait pas complètement abdiqué sa fierté ; quand on voit ce que les femmes ont eu à supporter, et quand on voit à quelle hauteur elles ont su maintenir leur âme ; quand on considère ce que dix ans de servitude, deux années de carnage, font de l’homme ; on doit constater que la force de résistance et l’énergie du caractère, qui sont les marques d’une supériorité certaine, ne se trouvent pas du côté de l’homme. Du reste, il suffit de considérer l’immense bêtise du politicien condamnant la race humaine, sur l’ordre du prêtre, à la perpétuelle misère, et de considérer d’autre part l’immense courage de la femme perpétuant cette race au prix de toutes les douleurs, pour ne conserver aucun doute au sujet de la prétendue prééminence de l’homme.

Le poids plus considérable du cerveau masculin, la faiblesse du sens olfactif chez la femme prouvent sans conteste l’infériorité féminine. On ignore absolument quelle est l’influence du poids d’un cerveau sur ses capacités, et la mesure du sens olfactif est une opération de haute fantaisie. Mais cela ne fait rien. L’homme, auquel la faiblesse de son odorat, amenant la nécessité de la ruse, a donné sur le chien une supériorité de mauvais aloi, a établi scientifiquement sur les fortes raisons citées plus haut le principe de sa supériorité intellectuelle et morale sur la femme. La femme a dû admettre ce principe, et l’humanité tout entière a eu à en payer le prix. Certaines nations — les nations latines, par exemple — trouvent qu’elles n’ont point payé assez cher. La France, pour ne citer qu’elle, maintient jalousement les droits de l’homme. […]

L’homme aime à parler de la faiblesse de la femme. Il y a des champignons si friables qu’on peut les écraser entre les doigts; et, dans une nuit, ils soulèvent du sol des dalles qu’un homme robuste ne pourrait changer de place qu’avec un levier.

La situation dans laquelle la femme est tenue en France est simplement honteuse. Elle l’apparaît davantage encore lorsqu’on songe que la France a posé si longtemps, et pose encore, pour le pays du progrès et de la liberté. Des signes nombreux indiquent que les femmes, au moins la meilleure partie d’entre elles, cherchent à sortir de cette situation. Elles essaient de se créer des positions indépendantes, revendiquent des droits légaux et politiques. Il est inutile de critiquer ces tentatives dont l’intention, au moins, est excellente ; de tous ces symptômes, sans grande signification par eux-mêmes, on doit tirer cette conclusion très importante : qu’un nouvel esprit cherche à s’emparer de l’âme de la femme. Cet esprit, c’est l’Esprit de Sexe, que le Christ avait mutilé et voué à la honte imbécile, et que l’infâme Église Romaine a fait tous ses efforts pour tuer. La femme de demain sera la femme que trouvèrent devant eux les légionnaires romains lorsqu’ils envahirent la Germanie ; elle apparaîtra pour la bataille, se réveillant enfin du cauchemar religieux dans lequel elle se débat depuis dix-huit siècles. Elle excitera l’homme, comme autrefois, à la conquête de la terre et aussi à la destruction de tous les monuments antihumains qui furent les témoins et les causes de son esclavage. »