|
La
diffusion des idées racistes en France semble être aujourd'hui une
priorité nationale Les racistes s'y emploient, ce qui est la moindre
des choses. Mais l'effort des propagandistes d'une idée a des limites,
en un temps où l'on se méfie des idées, et il a souvent besoin pour les
dépasser, du concours de ses adversaires. Là est l'aspect remarquable
de la situation française : hommes politiques, journalistes et experts
en tout genre ont su trouver ces dernières années des manières assez
efficaces de faire servir leur antiracisme à une propagation plus
intense des idées racistes. Aussi bien toutes les règles énoncées ici
sont-elles déjà employées. Mais elles le sont souvent d'une manière
empirique et anarchique, sans claire conscience de leur portée. Il a
donc paru souhaitable, afin d'assurer leur efficacité maximale, de les
présenter à leurs utilisateurs potentiels sous une forme explicite et
systématique.
Règle 1. - Relevez quotidiennement les propos racistes et donnez-leur
le maximum de publicité. Commentez-les abondamment, interrogez
incessamment à leur propos grands de ce monde et hommes de la rue.
Supposons par exemple qu'un leader raciste, s'adressant à ses troupes,
laisse échapper qu'il y a chez nous beaucoup de chanteurs qui ont le
teint basané et beaucoup de noms à consonance étrangère dans l'équipe
de France de football. Vous pourriez considérer que cette information
n'est vraiment pas un scoop et qu'il est banal, au surplus, qu'un
raciste, parlant à des racistes, leur tienne des propos racistes. Cette
attidude aurait une double conséquence fâcheuse : premièrement vous
omettriez ainsi de manifester votre vigilance de tous les instants face
à la diffusion des idées racistes ; deuxièmement, ces idées elles-mêmes
se diffuseraient moins. Or l'important est qu'on en parle toujours,
qu'elles fixent le cadre permanent de ce qu'on voit et de ce qu'on
entend. Une idéologie, ce n'est pas d'abord des thèses, mais des
évidences sensibles. Il n'est pas nécessaire que nous approuvions les
idées des racistes.
Il suffit que nous voyions sans cesse ce qu'ils nous font voir, que
nous parlions sans cesse de ce dont ils nous parlent, qu'en refusant
leurs « idées » nous acceptions le donné qu'elles nous imposent.
Règle 2. - N'omettez jamais d'accompagner chacune de ces divulgations
de votre indignation la plus vive. Cette règle est très importante à
bien comprendre. Il s'agit d'assurer un triple effet : premièrement,
les idées racistes doivent être banalisées par leur diffusion
incessante ; deuxièmement, elles doivent être constamment dénoncées
pour conserver en même temps leur pouvoir de scandale et d'attraction ;
troisièmement, cette dénonciation doit elle-même apparaître comme une
diabolisation, qui reproche aux racistes de dire ce qui est pourtant
une banale évidence. Reprenons notre exemple : vous pourriez considérer
comme anodin le besoin où est M. Le Pen de faire remarquer ce que tout
le monde voit à l'oeil nu, que le gardien de l'équipe de France a la
peau bien noire. Vous manqueriez ainsi l'effet essentiel : prouver
qu'on fait aux racistes un crime de dire une chose que tout le monde
voit à l'oeil nu.
Règle 3. - Répétez en toutes circonstances : il y a un problème des
immigrés qu'il faut régler si on veut enrayer le racisme. Les racistes
ne vous en demandent pas plus : reconnaître que leur problème est bien
un problème et « le » problème. Des problèmes acec des gens qui ont en
commun d'avoir la peau colorée et de venir des anciennes colonies
françaises, il y en a en effet beaucoup. Mais tout cela ne fait pas un
problème immigrés, pour la simple raison qu'« immigré » est une notion
floue qui recouvre des catégories hétérogènes, dont beaucoup de
Français, nés en France de parents français. Demander qu'on règle par
des mesures juridiques et politiques le « problème des immigrés » est
demander une chose parfaitement impossible. Mais, en le faisant,
premièrement, on donne consitance à la figure indéfinissable de
l'indésirable, deuxièmement, on démontre qu'on est incapable de rien
faire contre cet indésirable et que les racistes seuls proposent des
solutions.
Règle 4. - Insistez bien sur l'idée que le racisme a lui-même une base
objective, qu'il est l'effet de la crise et du chômage et qu'on ne peut
le supprimer qu'en les supprimant. Vous lui donnez ainsi une légitimité
scientifique. Et comme le chômage est maintenant une exigence
structurelle de la bonne marche de nos économies, la conclusion s'en
tire tout naturellement : si on ne peut supprimer la cause « profonde »
du racisme, la seule chose à faire est de lui supprimer sa cause
occasionnelle en renvoyant les immigrés chez eux par des lois racistes
sereines et objectives. Si un esprit superficiel vous objecte que
divers pays ayant des taux de chômage voisins n'ont pas de débordements
racistes comme chez nous, invitez-le à chercher ce qui peut bien
différencier ces pays du nôtre. La réponse va de soi : c'est qu'ils
n'ont pas comme nous trop d'immigrés.
Règle 5. - Ajoutez que le racisme est le fait des couches sociales
fragilisées par la modernisation économique, des attardés du progrès,
des « petits Blancs », etc. Cette règle complète la précédente. Elle a
l'avantage supplémentaire de montrer que les antiracistes ont, pour
stigmatiser les « arriérés » du racisme, les mêmes réflexes que ceux-ci
à l'égard des « races inférieures » et de conforter ainsi ces «
arriérés » dans leur double mépris pour les races inférieures et pour
les antiracistes des beaux quartiers qui prétendent leur faire la leçon.
Règle 6. - Appelez au consensus de tous les hommes politiques
responsables contre les propos racistes. Invitez sans trêve les hommes
du pouvoir à s'en démarquer absolument. Il importe en effet que ces
politiciens reçoivent le brevet d'antiracisme qui leur permettra
d'appliquer avec fermeté et d'améliorer, si besoin est, les lois
racistes destinées, bien sûr, à enrayer le racisme. Il importe aussi
que l'extrême droite raciste apparaisse comme la seule force
conséquente et qui ose dire tout haut ce que les autres pensent tout
bas ou proposer franchement ce qu'ils font honteusement. Il importe
enfin qu'elle apparaisse être, pour cela seul, victime de la
conjuration de tous les gens en place.
Règle 7. - Demandez des nouvelles lois antiracistes qui permettent de
sanctionner l'intention même d'exciter au racisme, un mode de scrutin
qui empêche l'extrême droite d'avoir des sièges au Parlement et toutes
mesures du même ordre. D'abord, des lois répressives peuvent toujours
resservir. Ensuite, vous prouverez que votre légalité républicaine se
plie à toutes les commodités des circonstances. Enfin, vous consacrerez
les racistes dans leur rôle de martyrs de la vérité, réprimés pour
délit d'opinion par des gens qui font les lois à leur convenance.
Il s'agit, en bref, d'aider la diffusion du racisme de trois manières :
en divulgant au maximum sa vision du monde, en lui donnant la palme du
martyre, en montrant que seul le racisme propre peut nous préserver du
racisme sale. On s'emploie déjà, avec des succès appréciables, à cette
triple tâche. Mais, avec de la méthode, on peut toujours faire mieux.
|