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La
société humaine n’en a plus pour longtemps de ces guerres qui ne
servent qu’à ses ennemis, ses maîtres : nul ne peut empêcher le soleil
de demain de succéder à notre nuit. Aujourd’hui nul homme ne peut vivre
autrement que comme l’oiseau sur la branche, c’est-à-dire guetté par le
chat ou le chasseur. Les États eux-mêmes ont l’épée de Damoclès
suspendue sur leur tête : la dette les ronge et l’emprunt qui les fait
vivre s’use comme le reste.
Les crève-de-faim, les dents longues, sortent des bois ; ils courent
les plaines, ils entrent dans les villes : la ruche, lasse d’être
pillée, bourdonne en montrant l’aiguillon. Eux qui ont tout créé, ils
manquent de tout.
Au coin des bornes, il y a longtemps qu’ils crèvent, vagabonds, devant
les palais qu’ils ont bâtis : l’herbe des champs ne peut plus les
nourrir, elle est pour les troupeaux des riches.
Il n’y a de travail que pour ceux qui s’accommodent d’un salaire
dérisoire ou qui s’abrutissent dans une tâche quotidienne de huit à dix
heures.
Alors la colère monte : les exploités se sentent, eux aussi, un cœur, un estomac, un cerveau.
Tout cela est affamé, tout cela ne veut pas mourir ; et ils se lèvent !
Les Jacques allument la torche aux lampes des mineurs : nul prolétaire
ne rentrera dans son trou : mieux vaut crever dans la révolte.
La révolte ! c’est le soulèvement des consciences, c’est l’indignation,
c’est la revendication des droits violés... Qui donc se révolte sans
être lésé ?
Plus on aura pesé sur les misérables, plus la révolte sera terrible ;
plus ceux qui gouvernent commettront de crimes, plus on verra clair
enfin, et plus implacablement on fera justice…
Savez-vous comment on s’apercevra que le vieux monde n’existe plus ?
Ceux qui, d’une oubliette, sont revenus à la lumière, à la sécurité,
ceux-là, seuls, pourraient le dire. Les groupements formés par le
danger commun et survivant seuls à la ruine commune reprendront
naturellement les choses d’intérêt général, dont aujourd’hui nos
ennemis mortels sont les seuls à bénéficier : Postes, chemins de fer,
télégraphes, mines, agriculture, seront d’autant plus en activité que
les communications entre les travailleurs auront la surabondance de vie
des foules délivrées — enfin respirant libres.
Plus de guerres, plus de parasites à gorger : la puissance de l’homme
sur les choses d’autant plus grande et d’autant plus salutaire que le
pouvoir des individus les uns sur les autres aura été détruit.
Plus de luttes pour l’existence — de luttes pareilles à celles des
fauves : toutes les forces pour multiplier les productions, afin que
chaque être nage dans l’abondance ; toutes les inventions nouvelles —
et la science, enfin libre dans ses investigations — servant, pour la
première fois, à l’humanité entière : rayonnantes, fécondes,
audacieuses, elles frapperont de leur fulgurance tout ce qu’à cette
heure encore on amoindrit, étouffe, enténèbre....
Ni les États dont nous voyons les derniers haillons trempés du sang des
humbles flotter dans la tourmente, ni les mensonges de carte
géographique, de race, d’espèce, de sexe, rien ne sera plus de ces
fadaises.
Chaque caractère, chaque intelligence prendra sa place.
Les luttes pour l’existence étant finies, la science ayant régénéré le
monde, nul ne pourra plus être bétail humain, ni prolétaire.
Et la femme dont la vie, jusqu’à présent, n’a été qu’un enfer ?…
Qu’il s’en aille, aussi cet enfer-là avec les songes creux des enfers mystiques !
Chaque individu vivant en tout le genre humain ; tous vivant en chaque
individu et surtout vivant en avant, en avant toujours où flamboie
l’idée, dans la grande paix, si loin, si loin, que l’infini du progrès
apparaîtra à tous dans le cycle des transformations perpétuelles.
C’est ainsi qu’avant de retourner au creuset, chaque homme, en quelques ans, en quelques jours, aura l’éternité. |