Contre-Attaque : Union de lutte des intellectuels révolutionnaires

« Position politique du surréalisme »

- Déclaration du 7 octobre 1935  -


  
I. Résolution

1. Violemment hostiles à toute tendance, quelque forme qu’elle prenne, captant la Révolution au bénéfice des idées de nation ou de patrie, nous nous adressons à tous ceux qui, par tous les moyens et sans réserve, sont résolus à abattre l’autorité capitaliste et ses institutions politiciennes.

2. Décidés à réussir et non à discuter, nous considérons comme éliminé quiconque est incapable, oubliant une phraséologie politique sans issue, de passer à des considérations réalistes.

3. Nous affirmons que le régime actuel doit être attaqué avec une tactique renouvelée. La tactique traditionnelle des mouvements révolutionnaires n’a jamais valu qu’appliquée à la liquidation des autocraties. Appliquée à la lutte contre les régimes démocratiques, elle a mené deux fois le mouvement ouvrier au désastre. Notre tâche essentielle, urgente, est la constitution d’une doctrine résultant des expériences immédiates. Dans les circonstances historiques que nous vivons, l’incapacité de tirer les leçons de l’expérience doit être considérée comme criminelle.

4. Nous avons conscience que les conditions actuelles de la lutte exigeront de ceux qui sont résolus à s’emparer du pouvoir une violence impérative qui ne le cède à aucune autre, mais, quelle que puisse être notre aversion pour les diverses formes de l’autorité sociale, nous ne reculerons pas devant cette inéluctable nécessité, pas plus que devant toutes celles qui peuvent nous être imposées par les conséquences de l’action que nous engageons.

5. Nous disons actuellement que le programme du Front Populaire, dont les dirigeants, dans le cadre des institutions bourgeoises, accéderont vraisemblablement au pouvoir, est voué à la faillite. La constitution d’un gouvernement du peuple, d’une direction de salut public, exige UNE INTRAITABLE DICTATURE DU PEUPLE ARMÉ.

6. Ce n’est pas une insurrection informe qui s’emparera du pouvoir. Ce qui décide aujourd’hui de la destinée sociale, c’est la création organique d’une vaste composition de forces, disciplinée, fanatique, capable d’exercer le jour venu une autorité impitoyable. Une telle composition de forces doit grouper l’ensemble de ceux qui n’acceptent pas la course à l’abîme — à la ruine et à la guerre — d’une société capitaliste sans cerveau et sans yeux ; elle doit s’adresser à tous ceux qui ne se sentent pas faits pour être conduits par des valets et des esclaves [1] — qui exigent de vivre conformément à la violence immédiate de l’être humain — qui se refusent à laisser échapper lâchement la richesse matérielle, due à la collectivité, et l’exaltation morale, sans lesquelles la vie ne sera pas rendue à la véritable liberté.

MORT À TOUS LES ESCLAVES DU CAPITALISME !

II. Positions de l’Union sur des points essentiels

7. L’UNION comprend des marxistes et des non-marxistes. Aucun des points essentiels de la doctrine qu’elle se donne pour tâche d’élaborer n’est en contradiction avec les données fondamentales du marxisme, à savoir :

—  l’évolution du capitalisme vers une contradiction destructrice ;

—  la socialisation des moyens de production comme terme du processus historique actuel ;

—  la lutte de classes comme facteur historique et comme source de valeurs morales essentielles [2].

8. Le développement historique des sociétés depuis vingt ans est caractérisé par la formation de superstructures sociales entièrement nouvelles. Jusqu’à une date récente, les mouvements sociaux se produisaient uniquement dans le sens de la liquidation des vieux systèmes autocratiques. Aux besoins de cette liquidation, une science des formes de l’autorité n’était pas nécessaire. Nous nous trouvons, nous, en présence de formes nouvelles qui ont pris d’emblée la place principale dans le jeu politique. Nous sommes amenés à mettre en avant le mot d’ordre de constitution d’une structure sociale nouvelle. Nous affirmons que l’étude des superstructures sociales doit devenir aujourd’hui la base de toute action révolutionnaire.

9. Le fait que les moyens de production sont la propriété de la collectivité des producteurs constitue sans discussion le fondement du droit social. C’est là le principe juridique qui doit être affirmé comme le principe constitutif de toute société non aliénée.

10. Nous sommes assurés que la socialisation ne peut pas commencer par la réduction du niveau de vie des bourgeois à celui des ouvriers. Il s’agit là non seulement d’un principe essentiel, mais d’une méthode commandée par les circonstances économiques. Les mesures qui s’imposent d’urgence doivent en effet être calculées en vue de remédier à la crise et non de l’accroître par une réduction de la consommation. Les principales branches de l’industrie lourde doivent être socialisées, mais l’ensemble des moyens de production ne pourra être rendu à la collectivité qu’après une période de transition.

11. Nous ne sommes animés d’aucune hostilité d’ascète contre le bien-être des bourgeois. Ce que nous voulons, c’est faire partager ce bien-être à tous ceux qui l’ont produit. En premier lieu, l’intervention révolutionnaire doit en finir avec l’impuissance économique : elle apporte avec elle la force, le pouvoir total, sans lesquels les hommes resteraient condamnés à la production désordonnée, à la guerre et à la misère.

12. Notre cause est celle des ouvriers et des paysans. Nous affirmons comme un principe le fait que les ouvriers et les paysans constituent le fondement non seulement de toute richesse matérielle, mais de toute force sociale. Quant à nous, intellectuels, nous voyons une organisation sociale abjecte couper les possibilités de développement humain des travailleurs de la terre et des usines. Nous n’hésitons pas à affirmer la nécessité de la peine de mort pour ceux qui assument légèrement la responsabilité d’un tel crime. Par contre, nous ne nous prêtons pas aux tendances démagogiques qui engagent à laisser croire aux prolétaires que leur vie est la seule bonne et vraiment humaine, que tout ce dont ils se voient privés est le mal. Nous plaçant dans les rangs des ouvriers, nous nous adressons à leurs aspirations les plus fières et les plus ambitieuses — qui ne peuvent pas être satisfaites dans les cadres de la société actuelle : nous nous adressons à leur instinct d’hommes qui ne courbent la tête devant rien, à leur liberté morale, à leur violence. Le temps est venu de nous conduire TOUS en maîtres et de détruire physiquement les esclaves du capitalisme.

13. Nous constatons que la réaction nationaliste a su mettre à profit dans d’autres pays les armes politiques créées par le mouvement ouvrier : nous entendons à notre tour nous servir des armes créées par le fascisme, qui a su utiliser l’aspiration fondamentale des hommes à l’exaltation affective et au fanatisme. Mais nous affirmons que l’exaltation qui doit être mise au service de l’intérêt universel des hommes doit être infiniment plus grave et plus brisante, d’une grandeur tout autre que celle des nationalistes asservis à la conservation sociale et aux intérêts égoïstes des patries.

14. Sans aucune réserve, la Révolution doit être tout entière agressive, ne peut être que tout entière agressive. Elle peut, l’histoire du XIXe et du XXe siècles le montre, être déviée au profit des revendications agressives d’un nationalisme opprimé ; mais vouloir enfermer la Révolution dans le cadre national d’un pays dominateur et colonialiste ne témoigne que de la déficience intellectuelle et de la timidité politique de ceux qui s’engagent dans cette voie. C’est par sa signification humaine profonde, par sa signification universelle, que la Révolution soulèvera les hommes, et non par une concession timorée à leur égoïsme, à leur conservatisme local. Tout ce qui justifie notre volonté de nous dresser contre les esclaves qui gouvernent intéresse, sans distinction de couleur, les hommes, sur toute la terre.

ADOLPHE ACKER, PIERRE AIMERY, GEORGES AMBROSINO, GEORGES BATAILLE, BERNARD, ROGER BLIN, JACQUES-ANDRÉ BOIFFARD, ANDRÉ BRETON, JACQUES BRUNIUS, CLAUDE CAHUN, LOUIS CHAVANCE, JACQUES CHAVY, RENÉ CHENON, JEAN DAUTRY, JEAN DELMAS, HENRI DUBIEF, JEAN DUVAL, PAUL ELUARD, JACQUES FISCHBEIN, LUCIEN FOULON, REYA GARBARG, ARTHUR HARFAUX, MAURICE HEINE, MAURICE HENRY, GEORGES HUGNET, JANINE JANE, MARCEL JEAN, PIERRE KLOSSOWSKI, LORIS, DORA MAAR, LÉO MALET, SUZANNE MALHERBE, GEORGES MOUTON, HENRY PASTOUREAU, BENJAMIN PÉRET, GERMAINE PONTABRIE, ROBERT PONTABRIE, YVES TANGUY, ROBERT VALANÇAY.

Notes

 [1] Les de la Rocque, les Laval, les de Wendel.

[2] Nous ajoutons que, dans la mesure où les partis qui se réclament du marxisme sont amenés, pour des considérations tactiques, à prendre, même provisoirement, une attitude qui les situe à la remorque de la politique bourgeoise, nous sommes radicalement en rupture avec la direction de ces partis.