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Raoul Vaneigem Critique de la Déclaration des droits de l’homme |
« L’histoire des libertés accordées à l’homme n’a cessé de se confondre,
à ce jour, avec l’histoire des libertés accordées par l’homme à l’économie. » 1. L’histoire des libertés accordées à l’homme n’a cessé de se confondre, à ce jour, avec l’histoire des libertés accordées par l’homme à l’économie : a)
Il n’y a pas lieu de s’étonner, sʼ’émouvoir ou s’indigner que les
libertés octroyées aux hommes leur soient ôtées, et que vidées de leur
sens ou niées par l’usage qui s’en fait, elles lui deviennent
communément inaccessibles et illusoires, jusque dans le principe
d’espérance qui les nourrit.
b) L’essor des droits de l’homme procède de l’expansion du libre-échange. Leur déclin au sein des démocraties et leur prohibition par les régimes despotiques obéissent au repli défensif dʼune économie dont la forme dominante, ancienne et statique, se trouve en danger d’être supplanté par l’émergence dʼune forme dominée, nouvelle et dynamique. C’est toujours à la faveur : de telles crises qu’une société revendique le plus radicalement son humanité et prend le mieux conscience du joug tutélaire et répressif que constitue l’économie d’exploitation. 2. Les droits de l’homme ne sont que les ampliations particulières d’un droit unique, celui de survivre à la seule fin de travailler à la survie dʼune économie totalitaire, qui s’est imposée mensongèrement comme seul moyen de subsistance de l’espèce humaine. a)
Les droits de l’homme se paient par des devoirs que fixe un contrat
social immanent. Celui-ci impose à chaque individu d’acquitter le prix
de sa survie aléatoire, en agréant un pouvoir supérieur auquel il est
tenu d’obéir et dont il a pour mission d’accroître le profit.
b) Les Droits de l’homme consacrent sous une forme positive la négation des droits de l’être humain. L’homme abstrait n’est en effet que le producteur substitué à l’individu créant sa propre destinée en recréant le monde. Il faut admettre néanmoins qu’en proclamant, à travers des siècles d’histoire inhumaine la nécessité pour tous de bénéficier d’un minimum vital, les droits de l’homme, implicitement admis ou clairement revendiqués, ont été les lequel il n’est pas 4e vie possible. Jusqu’au jour où il est apparu que le goût de survivre s’altérait en son contraire s’il ne débouchait pas sur une vie humainement vécue. c) À mesure que l’économie d’exploitation a étendu son emprise totalitaire au monde entier, elle a atteint à un mode de survie autonome, que la reproduction du capital spéculatif suffit à lui assurer et qui suggère qu’à la limite elle peut se passer des hommes. L’abstraction hyperbolique d’un système produit par les hommes, et qui leur échappe pour se retourner contre eux, fait peser une menace de mort sur la survie de l’espèce humaine, des ressources naturelles, de la planète et de l’économie vouée, par voie de conséquence, à imploser. Des droits sans devoirs à la création d’un style de vie
1. “Il est indispensable de faire une déclaration des droits pour arrêter les ravages du despotisme”. Barnave justifiant ainsi la déclaration du 26 août 1789, entendait armer les citoyens contre la tyrannie de l’aristocratie, classe parasitaire tirant ses revenus d’une économie agraire, dont immobilisme entravait le processus de développement du commerce et de l’industrie. Son propos ne perdrait rien de sa pertinence, appliquée aux séides du totalitarisme économique, qui ruine les ressources terrestres et humaines pour accroître une masse monétaire inemployée freinant la production des énergies naturelles et le dynamisme naissant dʼune nouvelle économie. Mais s’il règne dans le monde entier une situation similaire à l’état de la France à la veille de sa révolution, nous ne pouvons nous borner à revendiquer des libertés qui sont issues du libre-échange alors que la libre circulation des capitaux est désormais la forme totalitaire d’un système qui réduit l’homme et la terre à une marchandise. Nous ne pouvons nous satisfaire de droits abstraits dans une société où l’emprise économique abstrait l’homme de lui-même. 2. Nous sommes engagés dans un processus de mutation économique où le régime d’exploitation de la nature et de l’homme par l’homme a atteint son stade de stagnation et cède peu à peu sous les coups dʼune nouvelle économie. Celle-ci se fonde sur les énergies naturelles et mises sur la nécessaire reconstruction de l’environnement pour rendre au profit un dynamisme, entravé par l’immobilisme dʼune économie qui se dévore elle-même dans le circuit fermé de la spéculation financière. Mais, aussi propre et écologiquement correcte qu’elle se veuille, la marchandise n’est pas la vie : elle est ce que l’économie tend à substituer et à subtiliser à la vie. Au-delà d’une mutation économique qui réhabilite le vivant comme objet de profit, nous voulons promouvoir la gratuité dʼune vie qu’il appartient à la conscience humaine d’explorer, d’affiner et d’harmoniser. 3. La dictature de la valeur d’échange a propagé partout un nihilisme qui affole les consciences et les corps avec les ombres de la mort. Le cyclone de la spéculation financière a renversé les valeurs du passe, aucune éthique ne résiste au flux monétaire où tout s’annule en s’échangeant contre tout. Nos seuls critères, nos uniques repères ne peuvent naître que de nous-mêmes et d’un projet de société qui ranime en chacun le sens humain, la spécificité de l’homme ne pour vivre, non pour survivre comme une bête aux abois dans la jungle du calcul égoïste. La richesse technologique ne cessera de nous appauvrir davantage si nous tardons à nous l’approprier pour enrichir une existence qui soit, inséparablement, création de soi et du monde. 4. Notre histoire est en proie à une nouvelle mutation. Après la révolution agraire, qui abolit l’économie de cueillette et inaugure l’économie d’exploitation, après la Révolution française, qui met fin a la prédominance du mode de production agraire et intronise le règne du libre échange nous entrons dans une ère où l’exploitation de l’homme et de la nature se trouve supplantée par une alliance privilégiant la production d’énergies renouvelables la valeur d’usage des biens, l’utilité sociale et le respect de l’environnement. Pour la première fois, le changement de société laisse entrevoir des conditions propices à l’individu qui, lassé des libertés fictives dont sont prodigues les pouvoirs politiques, sociaux, économiques, a résolu de s’octroyer des droits enfin accordés à cette volonté de vivre, qui est en lui le désir de tous les désirs. 5. Le désir de mener sa vie selon la multiplicité des passions qui en confortent le goût et la puissance établit des droits sans devoirs ni contreparties. Nous voulons substituer au marchandage l’homme libre vendant sa force de travail aux corporations que du serf attaché à la glèbe et astreint de fastidieuses corvées. Les villes et la conscience urbaine issue du libre-échange ont longtemps subsisté sous la dépendance des campagnes et de la mentalité agraire, estampillant les mœurs de son étroitesse de vue, de ses préjugés réactionnaires, de ses archaïsmes religieux. Il a existé, à l’endroit de l’obscurantisme paysan et des pusillanimités s de terroir, un mépris et une haine qui, avivés par les “Lumières” de la ville et par la conscience prolétarienne, avaient pris le relais de la vieille conscience bourgeoise émancipatrice. La monstrueuse excroissance des mégapoles a opportunément suggéré à l’industrie agroalimentaire de faire fond sur la vieille dépréciation des campagnes pour stériliser les champs ; les prés et les forêts, sous prétexte de nourrir les populations du globe. Inspirés par la mafia sicilienne, issue, au XXème siècle, de la rapacité et du sectarisme paysans, des consortiums épuisent les océans par les labours intensifs de la pêche industrielle, les entreprises multinationales pétrochimiques et pharmaceutiques pourrissent la nature à coups d’engrais et d’organismes génétiquement modifiés. Tandis que sous la coupe du capitalisme parasitaire, les villes régressent en ghettos, où la peur et la haine de l’autre exhalent les pires remugles de la vieille mentalité agraire, ce qui, dans les campagnes, subsiste de forces vives et s’attache à promouvoir les ressources naturelles non dégénérées devient le détenteur dʼune conscience humaine projetant de conclure avec la nature une alliance sans violence. Les libertés marchandes esquissent et nient les libertés humaines
1. Le capitalisme s’est avisé de découvrir dans l’inventivité technique, que son avidité sollicitait, des instruments incomparablement plus parfaits et plus dociles que ses esclaves salariés. La liberté qu’il accorde au serf devenu prolétaire stipule par contrat qu’elle doit avant tout servir a un savoir-faire et à une habileté mécanique (ouvrier se dit du reste en latin médiéval “mechanicus”) et qu’elle ne peut se trouver dissipée ou contrariée par quelque velléité qui l’écarterait de la droite ligne du labeur. Tel est encore le sens de l’Habeas corpus de 1679, offrant une garantie contre les poursuites, les arrestations, les incarcérations abusives. 2. Rédigée, selon un projet de Georges Mason, après le début de la guerre d’indépendance américaine la déclaration dès droits de Virginie, proclamée le 12 juin 1776, est la première à stipuler “Que tous les hommes sont nés également libres et indépendants et qu’ils ont certains droits inhérents dont ils ne peuvent, lorsqu’ils entrent dans l’état de société, priver ni dépouiller par aucun contrat leur postérité : à savoir le droit de jouir de la vie et de la liberté, avec les moyens d’acquérir et de posséder des biens et de chercher à obtenir le bonheur et la sûreté”. Elle s’inscrit sous le sceau d’une générosité qui fait la part belle à l’esprit et pave de bonnes intentions l’enfer de la nécessité. Le souhait que tous soient “nés également libres et indépendants” révoque à raison l’ignoble droit de filiation dès ci-devant. Mais le législateur sait combien la condition sociale et le milieu familial perpétuent l’inégalité et la dépendance, lui qui évoquant la vie, la sûreté quotidienne, la jouissance et le bonheur, les assujettissent à l’appropriation et à la possession de biens. 3. Ce que laissait entrevoir de révolutionnaire et d’émancipateur l’article de la Déclaration des droits de Virginie : “Que tout pouvoir est dévolu au peuple, et par conséquent émane de lui ; que les magistrats sont ses mandataires et ses serviteurs, et lui sont comptables à tout moment”, a chaviré sur tous les écueils du parlementarisme démocratique. Quand le système de représentation a emprunté sa tournure la plus radicale, en proposant d’accorder tout le pouvoir aux conseils ouvriers, il a aussitôt dérapé pour verser dans une des pires tyrannies que le monde ait connues. 4. Les techniques de la publicité de la propagande, de la communication de l’information, de la mise en scène du vécu, alliées à l’indigence de la pensée à l’avilissement de la conscience, à l’autocensure apeurée, au pouvoir de l’argent ont fait justice d’un droit qui fut longtemps une arme contre toutes les tyrannies. “Que la liberté de la presse est l’un dès plus puissants bastions de la liberté et ne peut jamais être restreinte que par des gouvernements despotiques”. 5. On peut mesurer à l’aune des gouvernements, que la population des États-Unis est réputée s’être choisis librement, la valeur actuelle de la déclaration d’indépendance américaine du 4 juillet 1776 : “Tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis par les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur”. De même que la démocratie athénienne de la Grèce ancienne ne concevait pas d’ouvrir le champ de ses libertés aux esclaves et aux métèques, la Déclaration américaine exclut implicitement les Indiens et les Noirs, auxquels dénie leur statut d hommes à part entière ce Dieu de Calvin dont relève par ailleurs le “droit aliénable” au bonheur et a la liberté. 6. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, adoptée par l’Assemblée nationale française le 26 août 1789 dont ses principaux rédacteurs, Anson, Mounier et Mirabeau ont été inspirés par les conceptions de Diderot Rousseau et Montesquieu, met fin juridiquement à l’Ancien Régime et inaugure un règne où les libertés sèmeront sans cesse les germes dʼune subversion, qu’écrasera avec une égale opiniâtreté l’expansion économique qui en fut instigatrice. La première partie de l’article 1er : “Les hommes naissent libres et égaux en droit” révoque à jamais l’odieux privilège de naissance des prétendus aristocrates, et suffirait à sa gloire. L’usage légitime que les régimes bourgeois et bureaucratiques ont tiré de la seconde partie : “Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune” en a fait le modèle dʼune honteuse hypocrisie. Sa radicalité aura pour conséquence particulière le décret de la Convention française du 4 février 1794 abolissant l’esclavage, encore celui-ci n’entrera-t-il en vigueur qu’en 1948 grâce a l’obstination de Victor Schœlcher l’esclavage légal que perpétue le travail salarié n’a pas été, à ce jour, aboli. 7. En reconnaissant dans la déclaration de 1789 le “credo du Nouvel Âge”, Michelet rend compte dʼune religion laïque des droits de l’homme, dont les devoirs sont le sacre. Sade, qui s’inscrit parmi les premiers de l’histoire à réclamer l’abolition de la peine ; de mort est aussi le premier à brosser le tableau de l’hédonisme concentrationnaire, auquel les hommes se vouent en apostasiant leur Dieu ascète pour embrasser les cultes orgiaques du Dieu Nature et en se faisant un paradis de lʼenfer ou leurs désirs dénaturés se débondent et suffoquent. Des l’instant où il restitue aux hommes les droits usurpés par les Dieux, il dévoile la réalité du “laisser-faire” prôné par le dynamisme commercial et industriel, qui est la liberté d’opprimer l’homme naturel ne se comporte pas, hélas, comme un loup envers ses semblables ; mais comme un Dieu. La fascination de l’horreur et de la mort résulte à la fois de l’impuissance à humaniser l’existence et du profit, pour l’économie, à ne voir dans la vie qu’un tourbillon chaotique où ce qui se crée se détruit. 8. Dès 1790, Condorcet dénonçait dans son article “Sur l’admission des femmes au droit de cité” le caractère patriarcal de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En septembre 1791, Olympe de Gouges publie sa déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Article 1er : “La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune”. Article 3 : “Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme ; nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément”. Article 4 : “La liberté et la Justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui, ainsi l’exercice des droits naturels de la femme nʼa de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose, ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison”. Article 10 : “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales ; la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit également avoir celui de monter à la tribune, pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi”. Article 13 : “Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, les contributions des femmes et des hommes sont égales ; elle à part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles, elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, dès charges, des dignités et de l’industrie”. Il faudra près de deux siècles pour que la femme soit reconnue, non comme l’avenir de l’homme, mais comme digne de partager l’aliénation du mâle sans subir de surcroît son oppression. La relative émancipation de la femme doit beaucoup, il est vrai au développement de l’économie de consommation dans la seconde moitié du XXème siècle et au Statut privilégié que la marche s empressa de lui reconnaître, ainsi qu’à l’enfant, livré en toute impunité au viol publicitaire. La mémoire de l’ère économique n’a pas daigné garder le souvenir d’Olympe de Gouges décapitée le 3 novembre 1793, quatre mois après la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de l’an I, de Claire Demar, morte dans l’esseulement après avoir publié en 1833, “Appel d’une femme du peuple” sur l’affranchissement de la femme et de Qurat’u l’Ayn, assassinée par l’islam pour avoir, dans l’Iran de 1840, brûlé publiquement son voile et appelé les femmes à rejeter l’oppression des hommes. 9. Principalement rédigée par René Cassin, la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 offre à l’éthique humaniste une protection juridique dont le mépris, partout témoigné envers la femme, l’enfant et l’homme, souligne le caractère indispensable. Elle opposait à la barbarie, que le totalitarisme national socialiste et bolchevique avait fait déferler sur le monde, les vertueux remparts d’une démocratie parlementaire d’où pourtant le monstre du despotisme était ne, et qui continuait dʼen entretenir les embryons. De sorte que ses généreuses résolutions reviennent à protéger le citoyen contre lui-même, car l’homme concret, lésé par une représentation qui l’abstrait de ses propres désirs, alimente en ses profondeurs les égouts d’une frustration qui n’attend que l’occasion pour se déverser en flots de haine et de ressentiment. Tant il est vrai que refréner et tempérer les effets de la barbarie, c’est lui reconnaître des droits. Il n’y a pas de droits acquis, il n’y a que des droits à conquérir
1. Les meilleures intentions n’ont jamais donné, dans des conditions qui les contrariaient, que des résultats qui allaient à l’encontre de leurs principes les plus élémentaires. La lutte contre les tyrannies s’est autorisée de l’humanisme avec une libéralité que le libéralisme a foulée aux pieds. Qu’impliquait le précepte “il n’y a pas de droit sans devoirs” le principe “il n’y a pas de droit sans désirs, il n’y a pas de désirs sans droits”. 2. Les droits de l’être humain s’inscrivent dans une dialectique de vie en rupture avec la dialectique de mort qui a prévalu jusqu’à nos jours. Se souvenir de vivre abolit le temps du memento mori “souviens-toi que tu dois mourir”. 3. Les droits de l’être humain prêtent une forme sociale à la conscience du vivant en tant qu’organisation humaine de la nature. 4. La mutation économique en cours s’ouvre sur une mutation de civilisation. La première travaille déjà à la mise en œuvre des énergies naturelles renouvelables de l’agriculture biologique, des technologies affectées au rééquilibrage de l’environnement. La seconde est entre nos mains, et en butte à la confusion qu’entraîne toujours la conjonction d’une ère ancienne, qui s’achève et des innovations, se frayant un chemin à travers les décombres. La Déclaration des droits de l’être humain tente de fonder sur la création de soi et du monde une rupture radicale avec les modes de pensées, les réactions psychologiques les mœurs, les habitudes sociales, les comportements individuels et collectifs qui ont, en pénétrant jusqu’au subconscient, défini l’homme la femme et l’enfant pendant près de dix millénaires. Quand elle ne répondrait qu’au souci de porter à la connaissance de tous des droits que chacun de nous côtoie le plus souvent sans y accéder - par peur ou ignorance, elle aurait déjà justifié de son utilité, car ce qui appartient en propre a la nature de l’homme ne doit pas lui être interdit plus longtemps par un système de dénaturation universelle. Mais elle présente avant tout l’intérêt d’amorcer ce renversement de perspective inhérent au changement de civilisation qui est en train de s’opérer sous nos yeux. Lutter contre les lois et les conditions qui nous oppriment et nous corrompent ne nous a jamais appris à lutter pour nos droits imposer nos droits en excipant dʼune légalité de la vie, qui nous a toujours été refusée, offre en revanche là garantie la plus sure et la plus agréable d’abroger les décrets gouvernant notre existence quotidienne avec la rigueur de leur banalité inhumaine. La seule manière de combattre le pire, c’est de s’obstiner à vouloir le meilleur. 5. Le citoyen, déterminé à assumer ses responsabilités, est la conscience critique de l’institution politique et sociale qui le produit. Il s’investit dans un rôle, il ne se crée pas en tant qu’individu concret. Les droits de l’homme n’ont jamais outrepassé les droits du citoyen. Si nécessaires qu’ils se soient montrés dans la résistance contre un arbitraire et la tyrannie, ils n’en restent pas moins marqué au sceau dʼune imposture sociale qui accorde au citoyen une liberté, qu’elle refuse à l’être de désirs. Parce que l’éthique réclame pour s’appliquer le secours des lois, elle doit être tenue pour une disposition éphémère, l’expression d’une citoyenneté en quête d’un dépassement. 6. Nous ne reconnaissons dʼautre pouvoir que la prééminence du vivant. Partout où la volonté de vivre et sa conscience s’arrogent une souveraineté sans partage la notion même de droit s’efface d’elle-même. Il nous suffit d’être humain pour atteindre à la conscience de ne l’être jamais assez. |