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À
mes yeux, ce ne sont pas les événements qui imposent une révision du
marxisme, c’est la doctrine de Marx qui, en raison des lacunes et des
incohérences qu’elle renferme, est et a toujours été très au-dessous du
rôle qu’on a voulu lui faire jouer ; ce qui ne signifie pas qu’il ait
été élaboré alors ou depuis quelque chose de mieux. Ce qui me fait
exprimer un jugement si catégorique, et si propre à déplaire, c’est le
souvenir de mon expérience propre. Quand, étant encore dans
l’adolescence, j’ai lu pour la première fois le Capital, certaines
lacunes, certaines contradictions de première importance m’ont tout de
suite sauté aux yeux. Leur évidence même, à ce moment, m’a empêchée de
faire confiance à mon propre jugement ; je me disais que tant de grands
esprits, qui ont adhéré au marxisme, avaient dû apercevoir aussi ces
incohérences, ces lacunes si claires ; qu’elles avaient donc
certainement été les unes comblées, les autres résolues, dans d’autres
ouvrages de doctrine marxiste. À combien d’esprits jeunes n’arrive-t-il
pas ainsi d’étouffer, par défiance d’eux-mêmes, leurs doutes les mieux
fondés ? Pour moi, dans les années qui suivirent, l’étude des textes
marxistes, des partis marxistes ou soi-disant tels, et des événements
eux-mêmes n’a pu que confirmer le jugement de mon adolescence. Ce n’est
donc pas par comparaison avec les faits, c’est en elle-même que
j’estime la doctrine marxiste défectueuse ; ou plutôt, je pense que
l’ensemble des écrits rédigés par Marx, Engels et ceux qui les ont pris
comme guides ne forme pas une doctrine.
Il y a contradiction, contradiction évidente, éclatante, entre la
méthode d’analyse de Marx et ses conclusions. Ce n’est pas étonnant :
il a élaboré les conclusions avant la méthode. La prétention du
marxisme à être une science est dès lors assez plaisante. Marx est
devenu révolutionnaire dans sa jeunesse, sous l’emprise de sentiments
généreux ; son idéal de cette époque était d’ailleurs humain, clair,
conscient, raisonné, autant et même bien plus que par la suite de sa
vie. Plus tard, il a tenté « d’élaborer une méthode pour l’étude des
sociétés humaines. Sa force d’esprit ne lui permettait pas de fabriquer
une simple caricature de méthode ; il a vu ou du moins entrevu une
méthode véritable. Tels sont les deux apports faits par lui dans
l’histoire de la pensée : il a aperçu, dans sa jeunesse, une formule
neuve de l’idéal social, et, dans son âge mûr, la formule neuve ou
partiellement neuve d’une méthode dans l’interprétation de l’histoire.
Il a ainsi fait doublement preuve de génie. Par malheur, répugnant,
comme tous les caractères forts, à laisser subsister en lui deux
hommes, le révolutionnaire et le savant, répugnant aussi à l’espèce
d’hypocrisie qu’implique l’adhésion à un idéal non accompagné d’action,
trop peu scrupuleux d’ailleurs à l’égard de sa propre pensée, il a tenu
a faire de sa méthode un instrument pour prédire un avenir conforme a
ses vœux. À cet effet, il lui a fallu donner un coup de pouce et à la
méthode et à l’idéal, les déformer l’une et l’autre. Dans le
relâchement de sa pensée qui a permis de telles déformations, il s’est
laissé aller, lui, le non-conformiste, à une conformité inconsciente
avec les superstitions les moins fondées de son époque, le culte de la
production, le culte de la grande industrie, la croyance aveugle au
progrès. Il a porté ainsi un tort grave, durable, peut-être
irréparable, en tout cas difficile à réparer, à la fois à l’esprit
scientifique et à l’esprit révolutionnaire. Je ne crois pas que le
mouvement ouvrier redevienne dans notre pays quelque chose de vivant
tant qu’il ne cherchera pas, je ne dis pas des doctrines, mais une
source d’inspiration dans ce que Marx et les marxistes ont combattu et
bien follement méprisé : dans Proudhon, dans les groupements ouvriers
de 1848, dans la tradition syndicale, dans l’esprit anarchiste. Quant à
une doctrine, l’avenir seul, au meilleur des cas, pourra peut-être en
fournir une non le passé.
La conception que Marx se faisait des révolutions peut s’exprimer ainsi
: une révolution se produit au moment où elle est déjà à peu près
accomplie, c’est quand la structure d’une société a cessé de
correspondre aux institutions que les institutions changent, et sont
remplacées par d’autres qui reflètent la structure nouvelle. Notamment
la partie de la société à qui la révolution donne le pouvoir est celle
qui dès avant la révolution, quoique brimée par les institutions,
jouait en fait le rôle le plus actif. D’une manière générale, le «.matérialisme historique.»,
si souvent mal compris, signifie que les institutions sont déterminées
par le mécanisme effectif des rapports entre les hommes, lequel dépend
lui-même de la forme que prennent à chaque moment les rapports entre
l’homme et la nature, c’est-à-dire de la manière dont s’accomplit la
production ; production des biens consommables, production des moyens
de produire, et aussi — point important, bien que Marx le laisse dans
l’ombre — production des moyens de combat. Les hommes ne sont pas des
jouets impuissants du destin ; ce sont des êtres éminemment actifs ;
mais leur activité ; est à chaque instant limitée par la structure de
la société qu’ils constituent entre eux, et ne modifie à son tour cette
structure que par contrecoup, une fois qu’elle a modifié les rapports
entre eux et la nature. La structure sociale ne peut jamais être
modifiée qu’indirectement.
D’autre part l’analyse du régime actuel, analyse qui se trouve éparse
dans plusieurs œuvres de Marx, place la source de l’oppression cruelle
que souffrent les travailleurs non dans les hommes, non dans les
institutions, mais dans le mécanisme même des rapports sociaux. Si les
ouvriers sont épuisés de fatigue et de privations, c’est parce qu’ils
ne sont rien et que le développement des entreprises est tout. Ils ne
sont rien parce que le rôle de la plupart d’entre eux, dans la
production, est un rôle de simples rouages, et ils sont dégradés à ce
rôle de rouages parce que le travail intellectuel s’est séparé du
travail manuel, et parce que le développement du machinisme a enlevé à
l’homme le privilège de l’habileté pour le faire passer à la matière
inerte. Le développement de l’entreprise est tout, parce que
l’aiguillon de la concurrence contraint sans cesse les entreprises à
s’agrandir pour subsister ; ainsi «.le rapport entre la consommation et la production est renverse.», «.la consommation n’est qu’un mal nécessaire.».;
et si les ouvriers ne touchent pas la valeur de leur travail, ce fait
résulte simplement du « renversement du rapport entre le sujet et
l’objet » qui sacrifie l’homme à l’outillage inerte, qui fait de la
production des moyens de production le but suprême.
Le rôle de l’État donne lieu à une analyse semblable. Si l’État est
oppressif, si ta démocratie est un leurre, c’est parce que l’État est
composé de trois corps permanents, se recrutant par cooptation,
distincts du peuple, à savoir l’armée, la police et la bureaucratie.
Les intérêts de ces trois corps sont distincts des intérêts de la
population, et par suite leur sont opposés. Ainsi la « machine de
l’État » est oppressive par sa nature même, ses rouages ne peuvent
fonctionner sans broyer les citoyens ; aucune bonne volonté ne peut en
faire un instrument du bien public ; on ne peut l’empêcher d’opprimer
qu’en la brisant. Au reste et, sur ce point, l’analyse de Marx est
moins serrée — l’oppression exercée par la machine de l’État se confond
avec l’oppression exercée par la grande industrie ; cette machine se
trouve automatiquement au service de la principale force sociale, à
savoir le capital, autrement dit l’outillage des entreprises
industrielles. Ceux qui sont sacrifiés au développement de l’outillage
industriel, c’est-à-dire les prolétaires, sont aussi ceux qui sont
exposés à toute la brutalité de l’État, et l’État les maintient par
force esclaves des entreprises.
Que conclure ? La conclusion qui s’impose à l’esprit c’est que rien de
tout cela ne peut être aboli par une révolution ; au contraire, tout
cela doit avoir disparu avant qu’une révolution puisse se produire ;
ou, si elle se produit auparavant, ce ne sera qu’une révolution
apparente, qui laissera l’oppression intacte ou même l’aggravera.
Cependant Marx concluait exactement le contraire ; il concluait que la
société était mûre pour une révolution libératrice. N’oublions pas
qu’il y a près de cent ans il croyait déjà une telle révolution
imminente. Sur ce point en tout cas, les faits lui ont infligé un
démenti éclatant, éclatant en Europe et en Amérique, plus éclatant
encore en Russie. Mais le démenti des faits était à peine utile ; dans
la doctrine même de Marx, la contradiction était si éclatante qu’on
peut s’étonner que ni lui, ni ses amis, ni ses disciples n’en aient
pris conscience. Comment les facteurs d’oppression, si étroitement liés
au mécanisme même de la vie sociale, devaient-ils soudain disparaître ?
Comment est-ce que, la grande industrie, les machines et l’avilissement
du travail manuel étant donnés, les ouvriers pouvaient être autre chose
que de simples rouages dans les usines ? Comment, s’ils continuaient à
être de simples rouages, pouvaient-ils en même temps devenir la «
classe dominante » ? Comment, la technique du combat, celle de la
surveillance, celle de l’administration étant données, les fonctions
militaires, policières, administratives pouvaient-elles cesser d’être
des spécialités, des professions, et par suite l’apanage de «.corps permanents, distincts de la population.».?
Ou bien faut-il admettre une transformation de l’industrie, de la
machine, de la technique du travail manuel, de la technique de
l’administration, de la technique de la guerre ? Mais de telles
transformations sont lentes, progressives ; elles ne sont pas l’effet
d’une révolution.
À de telles questions, qui découlent immédiatement des analyses de
Marx, on peut affirmer que ni Marx, ni Engels, ni leurs disciples,
n’ont apporté la moindre réponse. Ils les ont passées sous silence. Sur
un seul point Marx et Engels ont signalé une transition possible du
régime dit capitaliste vers une société meilleure ; ils ont cru voir
que le développement même de la concurrence devait amener
automatiquement, et dans un court délai, la disparition de la
concurrence et en même temps celle de la propriété capitaliste.
Effectivement, la concentration des entreprises s’effectuait sous leurs
yeux, comme elle s’effectue encore sous les nôtres. La concurrence
étant ce qui, dans le régime capitaliste, fait du développement des
entreprises un but, et des hommes, considérés soit comme producteurs,
soit comme consommateurs, un simple moyen, ils pouvaient considérer la
disparition de la concurrence comme équivalente à la disparition du
régime. Mais leur raisonnement péchait en un point ; du fait que la
concurrence, qui fait manger les petits par les gros, diminue peu à peu
le nombre des concurrents, on ne peut conclure que ce nombre doive un
jour se réduire à l’unité. De plus, Marx et Engels, dans leur analyse,
omettaient un facteur ; ce facteur, c’est la guerre. Jamais les
marxistes n’ont analysé le phénomène de la guerre ni ses rapports avec
le régime ; car je n’appelle pas analyse la simple affirmation que
l’avidité des capitalistes est la cause des guerres. Quelle lacune ! Et
quel crédit accorder à une théorie qui se dit scientifique, et qui est
capable d’une pareille omission ? Or comme la production industrielle
est de nos jours, non seulement le principal moyen d’enrichissement,
mais aussi le principal moyen de combat militaire, il en résulte
qu’elle est soumise non seulement à la concurrence entre entreprises,
mais a une autre concurrence, plus pressante encore et plus impérieuse
: la concurrence entre nations. Cette concurrence-là, comment l’abolir
? Doit-elle, comme l’autre, s’abolir par l’élimination progressive des
concurrents ? Faut-il attendre, pour pouvoir espérer le socialisme, le
jour où le monde se trouvera soumis à la « grande paix allemande » ou à
la « grande paix japonaise » ? Ce jour n’est pas proche, à supposer
qu’il doive jamais venir ; et les partis qui se réclament du socialisme
font tout pour l’éloigner.
Les problèmes que le marxisme n’a pas résolus n’ont pas non plus été
résolus par les faits ; ils sont de plus en plus aigus. Bien que les
ouvriers vivent mieux qu’au temps de Marx — du moins dans les pays de
race blanche, car il en est autrement, hélas, aux colonies ; et même la
Russie doit peut-être être exceptée — les obstacles qui s’opposent à la
libération des travailleurs sont plus durs qu’alors. Le système Taylor
et ceux qui lui ont succédé ont réduit les ouvriers bien plus encore
qu’auparavant au rôle de simples rouages dans les usines ; à
l’exception de quelques fonctions hautement qualifiées. Le travail
manuel, dans la plupart des cas, est encore plus éloigné du travail de
l’artisan, plus dénué d’intelligence et d’habileté, les machines sont
encore plus oppressives. La course aux armements pousse plus
impérieusement encore à sacrifier le peuple tout entier à la production
industrielle. La machine de l’État se développe de jour en jour d’une
manière plus monstrueuse, devient de jour en jour plus étrangère à
l’ensemble de la population, plus aveugle, plus inhumaine. Un pays qui
tenterait une révolution socialiste devrait très vite en arriver, pour
se défendre contre les autres, à reproduire en les aggravant toutes les
cruautés du régime qu’il aurait voulu abolir, sauf le cas où une
révolution ferait tache d’huile. Sans doute peut-on espérer une
pareille contagion, mais elle devrait être immédiate ou ne pas être,
car une révolution dégénérée en tyrannie cesse d’être contagieuse ; et,
entre autres obstacles, l’exaspération des nationalismes empêche qu’on
puisse raisonnablement croire à l’extension immédiate d’une révolution
dans plusieurs grands pays.
Ainsi la contradiction entre la méthode d’analyse élaborée par Marx et
les espérances révolutionnaires qu’il a proclamées semble encore plus
aiguë aujourd’hui qu’en son temps. Qu’en conclure ? Faut-il réviser le
marxisme ? On ne révise pas ce qui n’existe pas, et il n’y a jamais eu
de marxisme, mais plusieurs affirmations incompatibles, les unes
fondées, les autres non ; par malheur, les mieux fondées sont les moins
agréables. On nous demande encore si une telle révision doit être
révolutionnaire. Mais qu’entend-on par révolutionnaire ? Ce mot souffre
plusieurs interprétations. Être révolutionnaire, est-ce attendre, dans
un avenir prochain, une bienheureuse catastrophe, un bouleversement qui
réalise sur cette terre une partie des promesses de l’Évangile, et nous
donne enfin une société où les derniers seront les premiers ? Si c’est
cela, je ne suis pas révolutionnaire, car un tel avenir, qui d’ailleurs
me comblerait, est à mes yeux sinon impossible, au moins tout a fait
improbable ; et je ne crois pas que quelqu’un puisse aujourd’hui avoir
des raisons solides, sérieuses, d’être révolutionnaire en ce sens.
Ou bien, être révolutionnaire, est-ce appeler par ses vœux et aider par
ses actes tout ce qui peut, directement et indirectement, alléger ou
soulever le poids qui écrase la masse des hommes, les chaînes qui
avilissent le travail, refuser les mensonges au moyen desquels on veut
déguiser ou excuser l’humiliation systématique du plus grand nombre ?
Dans ce cas il s’agit d’un idéal, d’un jugement de valeur, d’une
volonté, et non pas d’une interprétation de l’histoire humaine et du
mécanisme social. L’esprit révolutionnaire, pris en ce sens, est aussi
ancien que l’oppression elle-même et durera autant qu’elle, plus
longtemps même, car, si elle disparaît, il devra subsister pour
l’empêcher de reparaître ; il est éternel ; il n’a pas à subir de
révision, mais il peut s’enrichir, s’aiguiser, et il doit être purifié
de tous les apports étrangers qui peuvent venir le déguiser et
l’altérer. Cet éternel esprit de révolte qui animait les plébéiens de
Rome, qui enflammait presque simultanément, vers la fin du XIVe e
siècle, les ouvriers de la laine à Florence, les paysans anglais, les
artisans de Gand, qu’a-t-il à prendre, pour se l’assimiler, dans
l’œuvre de Marx ? Il a à y prendre ce qui a été précisément presque
oublié par ce qu’on nomme le marxisme : la glorification du travail
productif, conçu comme l’activité suprême de l’homme ; l’affirmation
que seule une société où l’acte du travail mettrait en jeu toutes les
facultés de l’homme, où l’homme qui travaille serait au premier rang,
réaliserait la plénitude de la grandeur humaine. On trouve chez Marx,
dans les écrits de jeunesse, des lignes d’accent lyrique concernant le
travail ; on en trouve aussi chez Proudhon ; on en trouve aussi chez
des poètes, chez Goethe, chez Verhaeren. Cette poésie nouvelle, propre
à notre temps, et qui en fait peut-être la principale grandeur, ne doit
pas se perdre. Les opprimés doivent y trouver l’évocation de leur
patrie à eux, qui est une espérance.
Mais par ailleurs le marxisme a gravement altéré cet esprit de révolte
qui, au siècle dernier, brillait d’un éclat si pur dans notre pays. Il
y a mêlé à la fois des oripeaux faussement scientifiques, une éloquence
messianique, un déchaînement d’appétits qui l’ont défiguré. Rien ne
permet d’affirmer aux ouvriers que la science est avec eux. La science,
c’est pour eux, comme d’ailleurs pour tous aujourd’hui, cette puissance
mystérieuse qui, en un siècle, a transformé la face du monde au moyen
de la technique industrielle ; quand on leur dit que la science est
avec eux, ils croient aussitôt posséder une source illimitée de
puissance. Il n’en est rien. On ne trouve pas, chez les communistes,
socialistes ou syndicalistes de telle ou telle nuance, une connaissance
plus claire ou plus précise de notre société et de son mécanisme que
chez les bourgeois, les conservateurs ou les fascistes. Quand même les
organisations ouvrières posséderaient une supériorité dans la
connaissance qu’elles ne possèdent aucunement, elles n’auraient pas de
ce fait entre les mains les moyens d’action indispensables ; la science
n’est rien, pratiquement, sans les ressources de la technique, et elle
ne les donne pas, elle permet seulement d’en user. Il serait plus faux
encore de soutenir que la science permet de prévoir un triomphe
prochain de la cause ouvrière ; cela n’est pas, et on ne peut même pas
croire de bonne foi qu’il en soit ainsi si l’on ne ferme pas
obstinément les yeux. Rien ne permet non plus d’affirmer aux ouvriers
qu’ils ont une mission, une « tâche historique », comme disait Marx,
qu’il leur incombe de sauver l’univers. Il n’y a aucune raison de leur
supposer une pareille mission plutôt qu’aux esclaves de l’antiquité ou
aux serfs du moyen âge. Comme les esclaves, comme les serfs, ils sont
malheureux, injustement malheureux.; il est bon qu’ils se défendent, il
serait beau qu’ils se libèrent ; il n’y a rien à en dire de plus. Ces
illusions qu’on leur prodigue, dans un langage qui mélange
déplorablement les lieux communs de la religion à ceux de la science,
leur sont funestes. Car elles leur font croire que les choses vont être
faciles, qu’ils sont poussés par derrière par un dieu moderne qu’on
nomme Progrès, qu’une providence moderne, qu’on nomme l’Histoire, fait
pour eux le plus gros de l’effort. Enfin rien ne permet de leur
promettre, au terme de leur effort de libération, les jouissances et le
pouvoir. Une ironie facile a fait beaucoup de mal en discréditant
l’idéalisme élevé, l’esprit presque ascétique des groupes socialistes
du début du XIXe siècle ; elle n’a abouti qu’à abaisser la classe
ouvrière…
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