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Camarades citoyens,
Nous nous présentons devant vous comme une organisation qui soutient
publiquement les principes du Socialisme Révolutionnaire International.
Cela signifie que nous recherchons un changement des fondements de la
société – un changement qui détruirait les distinctions de classes et
de nationalités.
Le monde civilisé est aujourd’hui de deux classes sociales : l’une
possède la richesse et les instruments de sa production, l’autre qui
produit la richesse au moyen de ces instruments, mais uniquement avec
la permission et pour l’usage des classes possédantes.
Ces deux classes sont nécessairement antagonistes. La classe
possédante, ou la classe des non-producteurs, ne peut vivre comme telle
que du travail non payé des producteurs – plus elle peut leur extorquer
du travail non payé, plus elle sera riche. Par conséquent, la classe
productrice – les travailleurs – est amenée à lutter pour améliorer sa
situation au dépens de la classe possédante, et le conflit entre elles
n’a pas de cesse. Tantôt il prend la forme de la rébellion ouverte,
tantôt la forme de grèves, tantôt simplement celle, largement répandue,
de la mendicité et du crime. Sous une forme ou sous une autre, bien
qu’il puisse ne pas toujours s’imposer au regard du spectateur
superficiel, ce conflit se poursuit en permanence.
Nous avons parlé de travail non payé : une explication s’impose.
L’unique possession de la classe productrice est la force de travail,
force physique que ses membres possèdent naturellement. Mais puisque,
comme nous l’avons déjà dit, les classes riches possèdent tous les
moyens de production, c’est-à-dire la terre, le capital et les
machines, les producteurs ou travailleurs sont contraints de vendre
leur unique bien, leur force de travail, aux conditions que les classes
possédantes veulent bien leur accorder.
Selon ces conditions, après avoir suffisamment produit pour se
maintenir en état de travailleur et être à même d’engendrer des enfants
qui prendront leur place quand ils n’en pourront plus, le surplus de
leur production appartiendra aux détenteurs de la propriété. Ce
marchandage s’appuie sur le fait que tout homme travaillant dans une
communauté civilisée peut produire plus qu’il ne lui faut pour sa
propre subsistance.
Ce rapport de la classe possédante à la classe ouvrière est la base
essentielle du système de la production pour le profit, sur lequel
repose notre société moderne. La façon dont il fonctionne est celle-ci
: le fabricant produit pour vendre à profit au courtier ou au
commissionnaire en gros, lequel à son tour tire profit du détaillant
qui doit tirer profit du grand public, grâce à des types variés de
fraude et de frelatage, grâce aussi à l’ignorance de la valeur et de la
qualité des marchandises où ce système a plongé le consommateur.
La concurrence, ou guerre déguisée, non seulement entre les classes en
conflit, mais aussi à l’intérieur des classes elles-mêmes, fait vivre
ce système qui ne fonctionne que pour le profit : toujours il y a
guerre entre les travailleurs pour leur stricte subsistance, ainsi
qu’entre leurs maîtres, patrons et intermédiaires, pour le partage du
profit extorqué aux travailleurs ; finalement, il y a toujours
concurrence, et parfois guerre ouverte, entre les nations du monde
civilisé pour le partage du marché mondial. Car, aujourd’hui, toutes
les rivalités entre nations ont été réduites à cette guerre seule – une
lutte dégradante pour le partage des dépouilles des pays barbares qui
vont servir en métropole à accroître la richesse des riches et la
pauvreté des pauvres.
Car, étant donné que les marchandises sont fabriquées d’abord pour être
vendues, et en second lieu seulement pour l’usage, le travail est
gaspillé de toutes parts : la poursuite du profit contraint le
fabricant rivalisant avec ses comparses à imposer ses marchandises sur
les marchés, moyennant leur bas prix, qu’il y ait une demande effective
ou non pour celles-ci. Selon les termes du Manifeste communiste de 1848
parlant de la bourgeoisie :
« Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie qui bat
en brèche toutes les murailles de Chine et contraint à la capitulation
les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous peine
de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de
production ; elle les force à introduire chez elle la prétendue
civilisation, c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se
façonne un monde à son image. »
De plus, la méthode de distribution dans ce système est d’un bout à
l’autre gaspillage ; car elle emploie des armées entières de commis, de
voyageurs de commerce, de vendeurs, de faiseurs de réclame, et toutes
sortes de moyens, uniquement pour faire passer l’argent de la poche de
l’un dans celle de l’autre. Ce gaspillage dans la production et dans la
distribution, s’ajoutant à l’entretien de l’existence inutile de la
classe possédante et non productrice, doit être payé entièrement en
prélevant sur le produit des travailleurs, et c’est un fardeau qui pèse
continuellement sur eux.
Voilà pourquoi les résultats inévitables de cette soi-disant
civilisation n’apparaissent que trop clairement dans l’existence de ses
esclaves – la classe ouvrière – dans le souci et l’absence de loisirs
au milieu desquels ils peinent.; dans l’insalubrité et la misère des
quartiers de nos grandes villes qu’ils habitent ; dans la dégradation
de leur corps, leur mauvaise santé et la brièveté de leur vie ; dans
cette terrible brutalité, si commune chez eux, qui n’est en fait que le
reflet de l’égoïsme cynique que l’on rencontre dans les classes
nanties, une brutalité aussi hideuse que celle-là ; enfin, dans la
foule des criminels, qui sont tout autant le produit de notre système
commercial que les immondes marchandises à vil prix, faites autant pour
être consommées par le pauvre que pour l’asservir.
Mais alors, quel remède proposons-nous à cet échec de notre
civilisation, admis aujourd’hui par presque tous les gens qui
réfléchissent ?
Nous avons déjà montré que les travailleurs, bien qu’ils produisent
toute la richesse sociale, n’ont aucun pouvoir sur sa production ou sa
distribution : le peuple, qui est la seule partie réellement organique
de la société, est traité comme un simple accessoire du capital, comme
un élément de sa machinerie. Cela doit être fondamentalement modifié :
la terre, le capital, les machines, les usines, les ateliers, les
entrepôts, les moyens de transport, les mines, les usines, les
ateliers, les entrepôts, les moyens de transport, les mines, les
banques, tous les moyens de production et de distribution de la
richesse doivent être déclarés propriété commune et traités comme
telle. Toute personne recevra alors la pleine valeur de son travail
sans déduction au profit d’un maître ; comme tous devront travailler et
que le gaspillage causé par la chasse au profit aura pris fin, la somme
de travail que chaque individu devra fournir pour accomplir la tâche
essentielle de la société sera réduite à quelque chose comme deux ou
trois heures par jour ; si bien que chacun aura d’abondants loisirs
pour s’adonner à des projets intellectuels ou autres, conformes à sa
nature.
Ce changement du mode de production et de distribution permettra à
chacun de vivre décemment, libéré du souci sordide de gagner chaque
jour son pain qui pèse à présent si lourdement sur la plus grande
partie de l’humanité.
Mais, en outre, les rapports sociaux et moraux des hommes seront
sérieusement modifiés par cette conquête de la liberté économique et
par l’effondrement des superstitions, morales ou autres, qui
accompagnent nécessairement un état d’esclavage économique : l’épreuve
du devoir reposera dorénavant sur l’accomplissement d’obligations
claires et bien définies envers la communauté plutôt que sur
l’adaptation du caractère et des actions individuels à quelque modèle
préconçu, étranger aux responsabilités sociales.
Notre mariage bourgeois moderne avec son esprit d’appropriation,
soutenu comme il l’est par son complément nécessaire, la vile
prostitution universelle, fera place à des relations cordiales et
humaines entre les sexes.
L’éducation, délivrée des entraves du commercialisme d’un côté, de la
superstition de l’autre, deviendra un encouragement rationnel au
développement des diverses facultés des hommes pour les rendre aptes à
une vie sociale faite de communication et de bonheur ; car ce ne sera
plus seulement le travail que l’on proposera comme une fin à
l’existence, mais le bonheur de tous et de chacun.
C’est seulement par ces changements fondamentaux dans la vie de l’homme
et par la transformation de la civilisation en socialisme que l’on peut
remédier aux malheurs sociaux mentionnés ci-dessus.
Quant à la politique en tant que telle, l’absolutisme, le
constitutionnalisme, le républicanisme, ceux-ci ont tous été
expérimentés de nos jours et dans notre présent système social, et tous
ont également échoué à venir à bout des maux réels de la vie.
Il en est de même de certains projets incomplets de réforme sociale
aujourd’hui soumis au public : eux non plus ne résoudront pas la
question.
La soi-disant coopération – c’est-à-dire la coopération concurrentielle
en vue de profit – ne fera qu’accroître le nombre des petits
capitalistes actionnaires, sous couvert de créer une aristocratie du
travail ; en même temps, elle intensifiera la dureté du travail par sa
tentation à se surmener.
La nationalisation de la terre seule, que beaucoup de personnes
sérieuses et sincères préconisent aujourd’hui, sera inutile aussi
longtemps que le travail sera soumis à l’extorsion de la plus-value,
inévitable dans le système capitaliste.
Le socialisme d’État, quel que soit le nom qu’on lui donne dont le but
serait de faire des concessions à la classe ouvrière tout en maintenant
le système actuel du capital et du salariat, ne serait pas une
meilleure solution : aucun changement purement administratif, tant que
les travailleurs ne sont pas en possession de tout le pouvoir
politique, ne constituerait une étape effective vers le socialisme.
En conséquence, l’objectif de la Ligue socialiste est la réalisation
complète du socialisme révolutionnaire et elle sait parfaitement que
cela ne pourra se produire dans un pays, quel qu’il soit, sans l’aide
des travailleurs de tout le monde civilisé. Ni les frontières
géographiques, ni l’histoire politique, ni la race, ni les croyances ne
sont pour nous causes de rivalités ou des haines ; pour nous, il n’y a
pas de nations, mais seulement des masses diverses de travailleurs et
d’amis, dont les sympathies mutuelles sont jugulées et perverties par
des groupes de maîtres rançonneurs dont l’intérêt est de fomenter des
rivalités et des haines entre les habitants de différentes contrées.
Il est clair que, pour toutes ces masses de travailleurs opprimés et
trompés, comme pour leurs maîtres, un grand changement se prépare : les
classes dominantes sont tourmentées, inquiètes, atteintes dans leur
conscience même, quant à la condition sociale de ceux qu’elles
gouvernent. Le marché mondial est l’objet d’une âpre concurrence
inconnue jusqu’alors. Tout montre que l’imposant système commercial
devient incontrôlable et qu’il échappe au pouvoir de ses maîtres
actuels.
Le seul changement qui puisse résulter de tout cela, c’est le
socialisme. De même que l’esclavage « mobil » est devenu le servage, et
le servage le soi-disant système du travail libre, de même celui-ci se
changera très certainement en un vrai ordre social.
La Ligue socialiste se met à la tâche, avec toute son énergie, afin de
réaliser ce changement. Pour cela, elle fera tout ce qui est en son
pouvoir afin d’éduquer le peuple dans les principes de cette grande
cause, et s’efforcera d’organiser ceux qui acceptent cette éducation ;
si bien que lorsque viendra la crise que prépare la marche des
événements, il pourrait y avoir un ensemble d’hommes prêts à prendre la
place qui leur reviendrait et à servir de guides de l’irrésistible
mouvement.
L’esprit de camaraderie mutuelle et la ferme résolution de faire
avancer la Cause amèneront naturellement l’organisation et la
discipline absolument nécessaires au succès. Mais nous veillerons à ce
qu’il n’y ait parmi nous aucune distinction de rang ou de dignité
donnant prise à l’égoïste ambition du commandement qui a si souvent
fait tort à la cause des travailleurs. Nous œuvrons pour l’égalité et
la fraternité et ce n’est que par l’égalité et la fraternité que nous
pouvons assurer l’efficacité de notre activité.
Tendons donc nos efforts vers cette fin : réaliser le changement en vue
d’un vrai ordre social, seule cause digne de l’attention des
travailleurs parmi toutes celles qui leur sont proposées. Œuvrons
patiemment pour cette cause, avec espoir cependant, sans reculer devant
les sacrifices. L’effort pour en apprendre les principes, l’effort pour
les enseigner, sont indispensables à notre progression. Mais nous
devons y ajouter, si nous voulons éviter un échec rapide, la franchise
et la confiance fraternelle, comme la dévotion sincère à la religion du
socialisme, la seule religion que professe la Ligue socialiste.
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